Désorientale

Roman de Négar Djavadi.

Alors qu’elle mène les démarches pour effectuer une insémination artificielle, Kimiâ Sadr se souvient de son enfance en Iran, de la fin du régime du Shah et de l’exil en France. Elle parle de ses oncles, de ses sœurs, de sa mère et d’elle-même, du dénuement et de l’arrachement. « Tout ce que je vous raconte est dépourvu d’images. Je n’ai aucune preuve à vous fournir, aucune, pas même un certificat de naissance. Vous devez me croire sur parole. » (p. 134) Elle évoque son adolescence et sa douloureuse transformation en femme. « Je savais que j’étais une fille, mais j’étais sûre qu’en grandissant je deviendrais non pas une femme, mais un homme. » (p. 40) Elle raconte comment son père s’est élevé contre le gouvernement jusqu’à en devenir un des plus grands opposants. La figure paternelle est centrale, quasi mythologique aux yeux de l’ancienne petite fille, et Kimiâ s’appuie sur ce modèle pour revendiquer une totale liberté sociale, sexuelle et identitaire.

De flashbacks en digressions, de récits interrompus en souvenirs croisés, l’histoire de la famille Sadr se mêle à l’histoire de l’Iran. La narration de Kimiâ s’apparente à une discussion à bâtons rompus où les associations d’idées font dévier l’histoire, mais reviennent toujours au sujet principal. « Je pense à ce qui n’a pas été vécu ensemble. Les êtres meurent et le temps fait son travail. Mais demeure le regret, qui aboie parfois dans le ventre, d’avoir laissé des occasions en suspens comme des fils qui pendent d’un vêtement usé et sur lesquels pourtant il ne faut surtout pas tirer. » (p. 187) Et c’est avec la même décontraction un peu goguenarde qu’elle raconte les anecdotes familiales et les épisodes historiques, le tout agrémenté d’une amertume qui ne cède le pas qu’à l’espoir farouche que l’avenir sera plus radieux pour la merveilleuse lignée aux yeux bleus. « L’existence est ainsi faite que même au fin fond du drame, il y a toujours une petite place pour l’absurde. » (p. 128)

Je m’attendais à apprécier ce roman et j’ai sciemment reporté le moment de le lire, afin que l’anticipation soit aussi délicieuse que la lecture. Finalement, je suis tellement enchantée par ce roman que j’aurais voulu ne pas attendre et ce afin de ne pas avoir trop longtemps à patienter pour le relire. C’est une histoire touchante, enlevée et drôle. Il y a des pertes, des morts, des filles enfermées à vie dans des maisons obscures et des pères aux dimensions ogresques, mais aussi des enfants qui jouent en criant dans les cours et une volonté têtue de vivre. Impossible de ne pas penser à Persépolis, mais là où Marjane Satrapi avait mis des images – ô combien belles et réussies –, Négar Djavadi introduit de la poésie et un je ne sais quoi d’insolite et de loufoque.

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