Croire aux fauves

Récit de Nastassja Martin.

« Je me demande un instant si l’ours va revenir, pour m’achever, ou pour que je l’achève, moi – ou bien pour que nous mourrions tous les deux dans une ultime étreinte. » (p. 5) Attaquée par un ours quelque part au milieu du Kamtchatka, l’autrice est une miraculée. « Lui sans moi, moi sans lui, arriver à survivre malgré ce qui a été perdu dans le corps de l’autre ; arriver à vivre avec ce qui y a été déposé. » (p. 5) Des jours d’hôpital, d’abord en Russie, puis en France, pour retrouver visage humain. Tout le monde la dévisage. D’abord parce qu’elle a changé physiquement, mais surtout parce qu’elle a survécu et qu’elle semble différente. Cette nouvelle identité, Nastassja doit l’apprivoiser. « Je suis en train de devenir quelque chose que j’ignore ; ça parle à travers moi. » (p. 22) Et pour guérir complètement, l’anthropologue française retourne en Russie, là où a commencé sa métamorphose après sa puissante étreinte avec l’animal.

Dans ce récit court et incisif, l’autrice évoque une certaine relation au monde. Elle présence ce dernier dans une vision où l’homme n’est pas central, mais connecté, sous réserve qu’il se donne la peine de s’ouvrir à l’altérité. « Je me dis qu’il vaut mieux que j’accepte mon inadéquation, que je m’arrime à mon mystère. » (p. 39) Il est question d’animisme et de souffrance des écosystèmes. À l’image de son corps supplicié par la mâchoire du fauve, Nastassja Martin présente la nature en proie aux activités humaines. Et elle invite l’homme à plus de tempérance et de respect envers ce qu’il ne comprend pas, mais cherche pourtant à dominer. « Je dis qu’il y a quelque chose d’invisible, qui pousse nos vies vers l’inattendu. » (p. 67)

J’ai lu ce roman d’une traite, fascinée par la clarté du propos de l’autrice. Et avec l’envie puissance de rererelire L’ours, histoire d’un roi déchu, de Michel Pastoureau…

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