Dans la cité du 11-Décembre-1960, à Alger, il y a un terrain vague où les enfants jouent au football. La parcelle n’appartient à personne, à tout le monde. C’est le royaume des mômes aux genoux couronnés et des gamins heureux. Mais deux généraux l’achètent pour y réaliser un projet immobilier. « Eux, ils ont tout le pays, ils ne peuvent pas nous laisser ce bout de terrain ? » (p. 40) Et soudain, c’est tout un quartier qui s’embrase : les petits qui hier vivaient balle au pied s’opposent aujourd’hui à coup de pierres à des militaires arrogants qui n’hésitent pas à sortir leur arme. « Il n’y eut pas de blessés. Mais quarante enfants avaient humilié deux généraux et ça ne pouvait que mal se terminer. » (p. 109)
Ce roman percutant parle de corruption, de tyrannie et de résistance. Le récit est implacable et se déroule comme un drame antique, selon une fatalité à peine moins prégnante. « A-t-on jamais vu en Algérie des généraux se montrer bienveillants à l’égard d’une révolte ? » (p. 27) Le soulèvement des gamins fait écho à tous les conflits qui ont déjà secoué et martyrisé l’Algérie. Que peuvent-ils contre l’armée et sa toute-puissance arrogante, ces enfants chez qui le sentiment de justice n’est pas encore étouffé par la résignation et la peur ? La réponse est évidente, dès le début : ils sont petits par l’âge, petits par la force, petits par le statut. « Dans l’esprit des gens, les enfants ne conspirent pas, les enfants ne luttent pas. Si un seul adulte dans ce pays imaginait trois secondes qu’un petit pouvait échafauder des plans, se battre contre un ordre établi ou quoi que ce soit dans le genre sans être manipulé ou poussé par un grand, voire un gouvernement étranger, les enfants seraient sur écoute, ils seraient suivis, ils seraient arrêtés. On créerait des camps spécialement pour eux. » (p. 56)
J’ai plongé dans ce livre avec ravissement, portée par le style net de l’autrice. Il y a du journalisme dans cette plume, mais aussi un talent littéraire certain pour dessiner des personnages vraisemblables qui se révèlent terriblement proches de nous. Par son texte, Kaouther Adimi nous rappelle qu’il n’y a pas de petit combat, pas de militantisme inutile, pas d’âge trop précoce pour défendre ce qui est juste. « Quelle drôle d’époque on vivait. […] Un fils de colonel à la retraite qui s’en prend à un général pour un terrain vague où les chiens errants doivent déféquer à longueur de journée. » (p. 38) C’est superbe, forcément, même si l’issue sera nécessairement triste.