FESSES, suivi de AbaTToir et La Femme de l’Ogre

Pièces de Bernadette Gruson (autrice, comédienne et metteuse en scène).

FESSES, ou comment prendre du recul grâce à la fissure

La femme seule en scène nous interpelle. Oui, on va parler de fesses. Non, on ne va pas parler que de ça. « Le cul c’est ce qu’on voit des fesses quand on est habillé / les fesses sont les fesses parce qu’elles sont nues / le cul ne se met pas à poil / le cul se cache / Il n’est pas direct le cul / le cul c’est les fesses habillées / Et l’habit ne fait pas le moine : L’habit fait le cul » (p. 10) Non, les fesses, ce n’est pas vulgaire, ce n’est pas sale, ce n’est pas anecdotique : c’est poétique ! « L’éloge des fesses commence par l’éloge de la césure. » (p. 15) Et la césure, ça s’écrit même sans ponctuation. Peut-être même d’autant mieux : c’est l’une des grandes qualités de ce texte, il n’abuse pas de la ponctuation, ce qui invite le spectateur/lecteur à s’accorder au souffle déclamatoire de la comédienne. Ah, et si vous pensiez qu’on ne parlerait que de fesses, ce n’est pas le cas… Il y a d’autres choses à découvrir dans cette pièce, alors profitez-en jusqu’au bout !

De cabrioles sur le langage en jeu subtil avec les homophones, l’autrice/comédienne nous entraîne dans son univers. Les très généreuses indications scéniques sont bien plus que des didascalies : ce sont des invitations à pénétrer dans l’espace mental de Bernadette Gruson. C’est un espace qu’elle donne à voir sur la scène, mais aussi qu’elle invite à parcourir au gré de notre imagination.

L’autrice a écrit ce texte en 2015, donc avant #MeToo. Pas étonnant qu’elle ait pris de plein fouet le mur patriarcal de l’incompréhension et de la moquerie ! Cette pièce reste toute brûlante d’actualité et mérite d’être vue et jouée.

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AbaTToir, ou comment échapper au conditionnement quand on naît poule

Le rideau s’ouvre sur des photos de famille, d’enfance et des souvenirs. La comédienne, toujours seule en scène, raconte son enfance à Courrières et le métier de ses parents dans une usine d’abattage de volaille. « Deux mille poules à l’heure / Deux mille poules à l’heure /Quand on aime, on ne compte pas / Quand on tue, on compte, c’est comme ça / Deux mille poules à l’heure / Savoir tuer d’un coup / D’un coup sûr / Sans s’acharner / C’est la règle / Sinon ça met à l’aise. » (p. 55) Ici, il n’est pas seulement question de pauvres volatiles suppliciés, mais bien de sentiments. Parce que l’amour est un dépeçage et les normes sociales sont un écartèlement pour les personnes différentes, celles qui sont plus sensibles.

Ce texte vu sur scène doit être un régal pour les oreilles tant la virtuosité déclamatoire se ressent déjà sur le papier. Toutefois, j’y ai été moins sensible, écorchée dès le début par la description de la mise à mort des poules.

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La Femme de l’Ogre, ou la lumière sur l’histoire de l’ombre

Le Petit Poucet, vous connaissez ? Les sept petits garçons abandonnés dans la forêt par leurs parents trop pauvres pour les nourrir, les petits cailloux et les miettes de pain, l’ogre qui se trompe et dévore ses propres filles, tout ça, bien sûr, vous connaissez ! Il y a cependant un personnage dont on parle trop peu : l’épouse de celui qui sent la chair fraîche à des lieues à la ronde. La femme de l’Ogre prend la parole, enfin, et vous, prenez garde, parce qu’elle se libère de siècles de soumission à l’homme et à la maternité ! « Je vous donne tout et vous prenez tout / Vous me mangez » (p. 82)

Moi qui suis friande de réécritures de contes, de légendes et de mythes littéraires, je ne boude pas mon plaisir devant cette pièce audacieuse et résolument féministe. Si le personnage principal a de grandes dents, ce n’est pas pour vous manger, c’est pour déchirer le patriarcat !

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Bernadette Gruson est ma voisine, mais surtout et avant tout mon amie. Je m’estime très chanceuse de la confiance qu’elle place en moi en me laissant donner mon avis sur ses textes.

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