Léo était indolent, rêveur et, par son objectif, capable de capturer la beauté dans l’incessante valse du monde. « Il tient obstinément à rester un petit illustrateur qui arrête son regard sur des sujets banals et quotidiens, qu’il s’efforce de rendre charmants et uniques. » (p. 21) Puis est survenu l’accident, et Léo a perdu son grand talent. L’œil paralysé, le cœur brisé et l’âme amère, Léo s’est retranché de l’existence et se soule désormais de séries télévisées. Il se perd dans d’autres imaginaires que le sien, dans des époques et des géographies différentes. « Il arrive que l’effet hypnotique de l’écran libère les archives cachées de sa mémoire, sous forme d’instantanés et de réminiscences, sans lien avec la situation qui défile sous ses yeux. » (p. 59) Pendant des mois, Léo squatte dans le salon du narrateur et il s’investit dans des vies fictives pour fuir la sienne : il sait tout des péripéties de ses personnages de pixel et, même, finit par participer à leur destin. « Je réalise tout à coup que Léo mène une double vie, dans mon canapé, à mon insu. La nuit, pendant que je l’imagine affronter ses démons, monsieur se promène de Tolède à San Diego, très préoccupé de la destinée d’une poignée d’inconnus dont les mésaventures ont le mérite de lui faire oublier les siennes. » (p. 101) Le narrateur cherche surtout à savoir ce qu’est devenu Léo depuis sa disparition. « Où il se trouve, je me plais à l’imaginer à la recherche de son innocence perdue. » (p. 9)
Le texte se construit entre le récit à la première personne du narrateur et les différentes séries que Léo regarde. Saurons-nous la fin de ces intrigues rocambolesques ? Peu importe, ce qui compte est de retrouver Léo, s’il veut se laisser approcher. Avec Saga, Tonino Benacquista nous a fait suivre l’aventure d’une équipe de scénaristes dépassée par le succès de la série qu’elle produit. Avec ce roman, l’auteur nous emmène de l’autre côté de l’écran et interroge notre rapport addictif à la série. Et surtout, il magnifie le pouvoir qu’a la fiction sur nos âmes assoiffées d’imaginaire et d’échappatoire. Parce que, parfois, s’abîmer dans une image, c’est la seule façon de revenir au réel.
De Tonino Benacquita, je vous recommande également l’excellent Quelqu’un d’autre qui explorait les limites infinies de l’identité.