Jocelyn Pierston, artiste sculpteur renommé à Londres, est obsédé par sa Bien-Aimée. Elle n’est pas une femme, mais une idée. « À sa Bien-Aimée, il avait toujours été fidèle ; seulement elle avait subi de nombreux avatars. Chaque femme […] n’avait été qu’une forme passagère de l’élue. » (p. 14) Exalté, plus amoureux de l’amour que des femmes qu’il croise, il peut supplier une femme de l’épouser pour, quelques instants après, sentir sa flamme tiédir parce que la demoiselle se fait moins parfaite qu’au premier abord. « Il savait que dix minutes de conversation […] avec celle qui représentait sa Bien-Aimée détruiraient l’illusion et provoqueraient immédiatement ailleurs une autre incarnation. » (p. 49) Incapable de se fixer, Jocelyn cherche sans cesse et partout celle qui incarnera complètement le fantasme qu’il nourrit au creux de son âme. « Être inconstant, c’est se fatiguer d’un être qui, lui, ne change pas. Mais j’ai toujours été fidèle à la trompeuse créature que je n’ai jamais pu saisir. » (p. 39) Les décennies passent : l’artiste reste seul, mais son cœur ne vieillit pas et brûle toujours du même feu. Un jour, il apprend la mort d’une femme qu’il avait brièvement considérée comme une compagne possible. Et soudain, il comprend : c’était elle, la première d’entre toutes, et il n’a pas su la garder ! « C’est la seule femme que je n’aie pas su aimer, et donc la seule que je regrette ! » (p. 67) Par un cruel jeu du destin, l’enfant de cette femme allume dans le cœur de Jocelyn la même passion, même si l’homme désormais mûr voit les défauts de cette jeunesse. « Est-il possible que la fille possédât les mêmes traits sans avoir la même âme ? » (p. 82) Saura-t-il enfin fixer son affection, ce chantre de Vénus ? Rien n’est moins certain.
Il ne m’a fallu que quelques pages pour trouver ce Jocelyn Pierston parfaitement agaçant et complètement risible. Il assure n’être pas inconstant, mais mon p’tit gars, je ne vois pas comment définir autrement ton comportement ! Ah oui, je sais, ce n’est pas de ta faute, c’est Aphrodite et autres dieux de l’Amour qui te tourmentent. « Je subis une malédiction étrange, une influence maligne. » (p. 34) Le seul crédit que j’accorde à ce triste personnage, c’est qu’il ne va pas jusqu’à séduire les femmes : il les aime sans les toucher et s’en éloigne très rapidement. Et c’est peu dire que je me suis sadiquement réjouie qu’il soit blessé par là où il a péché… Toutefois, aussi détestable que soit le personnage, le récit est fameux ! Thomas Hardy ne manquait pas d’épingler les travers de ses contemporains. Je retrouve en Jocelyn l’orgueil de Jude l’obscur : ici, ce n’est pas l’ambition de réussir qui dévore le protagoniste, mais le fol hybris d’être une créature qui se croit supérieure en amour. C’est parfaitement ridicule et l’auteur nous fait rire de son personnage.