Quatrième de couverture – Nuit du 7 au 8 août 2004 aux environs de Bourgoin-Jallieu, en Isère. Un crime sauvage : quatre balles de 357 magnum tirées à bout portant devant une soixantaine de personnes. Chantal est assassinée par son mari Marc Cécillon, ex-capitaine du XV de France. Dans la mémoire collective, il reste de cette tragédie la chute d’une figure sportive bernée par les mirages du sport de haut niveau, un homme victime de ses démons, auteur d’un crime passionnel avec ce que cette expression comporte de circonstances atténuantes. N’a-t-il pas dit aux gendarmes : » C’est l’amour qui a fait ça … Je l’aime » ? De Chantal, en revanche, dont il fut si peu dit, il ne reste rien. En partant de ce point de vue, celui de la victime, l’auteur raconte ce fait divers pour en revisiter le récit grâce notamment aux témoignages inédits des proches de Chantal. En étudiant tout ce qui fut révélé, dans les journaux, les tribunaux, en fouillant les ressorts du crime et des féminicides en particulier, Ludovic Ninet a décidé de produire un texte partisan, porté par une intime conviction, et a voulu redonner momentanément vie à une femme sauvagement éliminée. Le monde du rugby, celui d’une certaine presse et des idolâtres n’en sortent pas grandis. Le meurtrier, libéré de prison en 2011, non plus. Un éclairage fascinant sur l’enquête, sur la personnalité du meurtrier et un hommage en creux à la voix de Chantal tue à jamais.
L’auteur revient sur le crime misogyne – et certainement pas passionnel – qu’a subi Chantal Cécillon. Il donne la parole aux femmes proches de cette victime : sa mère, sa presque sœur, ses filles. Ce qu’il montre, c’est comment un homme alcoolique et infidèle n’a pas supporté que son épouse s’éloigne et envisage de le quitter, alors qu’elle avait tenu bon pendant tant d’années. La violence verbale, la jalousie paranoïaque et la surveillance malsaine étaient des signaux d’alarme : Chantal se savait en danger ; elle n’imaginait pas à quel point. Ce qui est terrible, c’est que personne n’ignorait les excès inacceptables commis par le rugbyman, mais personne ne disait rien. « Tout […] se balaie sous le tapis. Le demi-dieu ne doit pas être sali, comme si les foudres de sa colère divine étaient craintes – ou, tout bêtement, comme si l’on préférait ne pas prendre le risque de se passer d’un tel fer de lance dans le pack berjalien ; tout cela, oui, rien que pour du rugby. » (p. 62) La vie d’une femme vaut moins que des titres sportifs, manifestement. Séparer l’homme de l’athlète est impossible et surtout, profondément injuste pour la mémoire de Chantal. Céline, la cadette de la famille, ne laisse rien passer : c’est de Chantal dont il faut parler, pas du père assassin. « Sa mère a été tuée mais, grand numéro de prestidigitation, l’histoire est devenue la tragédie de son assassin. Rendre le meurtre compréhensible pour, ensuite, c’est en tout cas le but, le rendre excusable. » (p. 88)
Ludovic Ninet ne refait pas le procès du coupable, mais il fait celui de la presse qui se montre trop souvent complaisante envers les héros auxquelles elle rechigne à retirer les lauriers. « Il semble qu’ici je cherche réparation. En moi, pour commencer, comme pour racheter mon ignorance et ma passivité de l’époque. Plus largement peut-être est-ce, en toute humilité, une forme d’amende honorable que j’exprime par ce texte, au nom de mon genre, le sexe masculin, si blessé et incapable de l’admettre qu’il détruit ce qui, croit-il, le menace. » (p. 16) Plus que jamais, il faut dire le mot « féminicide » et comprendre – pour les combattre – les mécanismes sociaux et individuels dont les hommes se prévalent pour tuer des femmes.
Lu dans le cadre du Prix Sport Scriptum 2023.