Dialogue entre Laurent-David Samama et Jérémie Peltier.
« Ne nous voilons pas la face : perdre fait mal, fâche et abîme. C’est une claque. Le surgissement du réel dans un scénario que l’on imaginait idéal. » (p. 12) En sport comme en politique, la défaite interroge tout un parcours, un processus finalement non payant. Entraînement et campagne électorale sont revus et commentés selon que le challenger/candidat remporte ou perd le titre. Si le sport permet une certaine résilience et un retour sur les podiums, la politique des dernières années a prouvé qu’elle n’aime pas les perdants. Celui qui n’est pas élu ou réélu est désormais un loser, tandis que son adversaire plus chanceux n’a que peu de temps pour imposer sa réussite. « La victoire, en politique, constitue de plus en plus une fin en soi. L’alpha et l’oméga, c’est gagner, pas tant de construire l’avenir. Car après la victoire, on ne pense pas à l’après. On gère le courant. À l’inverse, la défaite nous oblige à voir plus loin, à établir une nouvelle stratégie, à penser au ‘rebond’ du lendemain. » (p. 21)
La mémoire commune se souvient des victoires, notamment celles que personne n’attendait : les Bleus en 1998 ou François Hollande en 2012. Mais elle épingle tout aussi durablement les défaites, car elles en disent souvent plus long que les succès. « La défaite m’intéresse particulièrement, car tout le monde perd dans la vie. Dès lors, la question est de savoir ce que l’on fait de ses déconvenues, faillites et autres drames personnels. Comment on les convertit en expérience. Car même s’il y a souvent de la souffrance dans l’affaire, il y a aussi du positif : échouer nous complexifie… » (p. 8 & 9) Les deux interlocuteurs discutent de l’humilité dans la défaite et de la crainte du non-retour. Terreau de futures victoires ou immédiate mise à pied, la défaite n’en finit pas de questionner l’injonction de la performance dans laquelle le monde libéral oppose tous les individus.
Il est bien facile d’inviter le perdant à l’élégance quand on n’est pas soi-même arrêté à quelques mètres de la ligne d’arrivée, mâchant et crachant la poussière que le premier nous envoie dans les narines. « Parfois, la défaite n’apporte rien, elle fait juste beaucoup de dégâts. L’enjeu, c’est donc de savoir perdre, d’apprendre à perdre avec élégance. C’est perdre mieux. Perdre avec autorité. Perdre avec dignité. » (p. 74)
De cet entretien mené à bâtons rompus, je retiens surtout le fameux exemple de Raymond Poulidor, si souvent cité par un de mes grands-pères. Je n’ai jamais vu courir ce cycliste, mais je me souviens du chagrin que j’ai eu pour cet inconnu quand j’ai appris qu’il n’avait jamais gagné. « C’est aussi cela, Poulidor ! Un perdant magnifique, un sempiternel vaincu qui n’abandonne jamais. Peut-être un surhomme, quelque part… En tout cas, un héros du quotidien ! Voilà l’origine de la ‘poupoularité’ de l’Éternel Second sur les routes du Tour de France. Il ne survole jamais. Rien ne lui est acquis. Il n’a pas de don. Son expérience quotidienne est celle du travail. C’est la France qui se lève tôt, celle qui va au turbin. C’est le pays qui, par l’effort, tire un bénéfice de son labeur. » (p. 39) La défaite, d’accord, mais pas sans s’être battu jusqu’au bout !
Cet échange est intéressant par de nombreux aspects, mais j’y ai parfois trouvé la lourdeur d’une discussion de comptoir. Dommage, car le sujet mérite d’être exploité plus précisément, au-delà des seuls exemples sportifs et politiques.
Lu dans le cadre du prix Sport Scriptum 2020.