« Chez nous, mieux vaut une fille morte qu’une fille mère. » (p. 20) La narratrice principale est lucide : pour avoir eu une relation amoureuse et physique hors mariage, elle mourra de la main d’un membre de sa famille. En Irak, pays déchiré de bombes et blessé par des traditions mortifères, le crime d’honneur n’est presque pas un crime, c’est un droit. D’autres voix que celle de la jeune fille s’élèvent, révélatrices d’un défilé sinistre : la mère, les frères, les amis, tous sont résignés à la mort de celle qui a voulu vivre. « Je suis un homme bien mais je n’empêcherai pas mon frère de tuer ma sœur. Je suis en demi-teinte, enchaîné à des règles que je condamne, navré d’être un salaud. » (p. 70) Enfin, une voix sublime toutes les autres, celle du fleuve Tigre qui assiste au passage des siècles et aux ravages des hommes. « Mes eaux sont depuis longtemps empoisonnées. […] Je meurs car depuis longtemps les hommes ont cessé de m’aimer et de me respecter. Ils ont pris goût au désastre. Je ne suis plus source mais ressource, et les hommes de cette terre aride ont oublié qu’ils ne pourront pas vivre sans moi. » (p. 47)
Le récit de cette mort programmée est implacable. Ici, le destin est inexorable, entériné et achevé dès que formulé. Aucun manichéisme dans la description des personnages : il n’y a pas les coupables fous de Dieu d’un côté et les innocents ravis par l’amour de l’autre. Il n’y a que des humains qui ne savent pas vivre autrement que dans le système qui leur a été transmis et auxquels il manque la force de s’élever pour proposer autre chose. Cette lecture de début d’année ne peut pas être qualifiée de coup de cœur : c’est un coup de poing, ou un coup au cœur.