Le narrateur participe à une mission internationale en Antarctique : pendant un an, il doit étudier les vents sur un îlot perdu. Sa seule compagnie est le gardien du phare, homme taiseux et peu accueillant. « L’air n’était pas glacial, mais désagréable. S’il régnait une sorte de désolation, elle n’était pas identifiable. Le problème n’était pas tant ce qu’il y avait que ce que nous ne voyions pas. » (p. 6) Chaque nuit, retranché dans sa cabane, l’homme est attaqué par des créatures à la peau de squale. « La nuit venait et je savais, de source atavique, que l’obscurité est l’empire des carnassiers. » (p. 40) Pour survivre, il doit s’allier avec le gardien. Les deux hommes sont frères d’armes par nécessité dans une guerre interminable et insensée, car chaque créature tuée semble remplacée par dix autres. Dans ce Fort Alamo polaire, le narrateur n’attend qu’une chose : le bateau qui passe une fois par an pour la relève. « Je médite sur les attentes qui m’ont conduit sur l’île. Je recherchais la paix du néant. Et, au lieu du silence, je trouve un enfer peuplé de monstres. » (p. 90) Et entre les deux hommes, il y a une créature femelle soumise à toutes leurs exigences domestiques.
J’ai ouvert ce roman sans rien en savoir, seulement poussée par la recommandation d’une amie, et je suis tombée tout entière dans ce récit angoissant, halluciné, putride et désespéré. L’histoire d’amour est des plus dérangeantes, entre dégoût et obsession. Je suis surtout frappée par la boucle narrative, car tout s’achève par un retour au commencement, dans un douloureux écho. Avec ce roman, Albert Sanchez Pinol poursuit la même réflexion humaniste que celle à l’œuvre dans Je suis une légende de Richard Matheson. Il s’agit de savoir à quel moment c’est l’homme qui devient le monstre, l’anomalie. Et, au-delà des différences, il faut apprendre à identifier les ressemblances pour tenter la cohabitation. Attention, si vous vous lancez dans cette lecture, préparez-vous à des sueurs glacées !