Roman de Françoise Xenakis.
Dans un pays méditerranéen aux couleurs grecques et balkaniques, une coutume ancestrale préside les amours interdits. L’amant n’enlève pas l’objet de ses désirs: il coupe publiquement la natte de la jeune fille qu’il convoite, suprême outrage que seul le mariage peut laver. Mais pour Ada, jeune et blonde, cette natte coupée n’augure aucune union. Sa famille venge l’affront en tuant son amant et en lui ôtant la fille née ces amours illicites. Ada lance sur les siens une malédiction nichée dans un nœud de serpents et fuit les contrées souillées de son enfance. Des décennies plus tard, Madame, vieille femme richissime et tyrannique, vit dans l’angoisse de la solitude, hantée par un passé qui se matérialise devant elle en la personne d’Ada III, fille d’Ada II, sa fille. Trois générations de femmes à la natte coupée, trois générations de femmes maudites se confondent pour symboliser la féminité outragée.
Madame est une vieille femme pétrifiée dans ses souvenirs, ses regrets et ses terreurs. A la tête de palaces prestigieux, elle ne peut oublier les cabanes en pierre et terre battue de son enfance. Gorgée d’argent, méprisant cette richesse héritée d’un défunt époux homosexuel, Madame rêve de puissance : « Elle avait un faible, un faible immense pour le pouvoir politique. Celui de l’argent, dont rêvent tous ceux qui détiennent le politique, elle l’avait et en savait tout. Mais l’autre… » (p.39) Généreuse voire dispendieuse jusqu’à la folie, Madame reprend aussi vite qu’elle a donné.
Ada II est un personnage difficile à cerner. On la suppose terroriste et résistante durant la seconde guerre mondiale. On la suppose mère-fille, violée, haineuse envers les hommes. « D’autres racontaient des gestes d’elle devenus chansons. » (p.147) Ada II quitte un pays traître, sa fille sur le dos et la haine plus que jamais chevillée au ventre.
Ce prénom unique, Ada, confond les visages et les destins. D’une génération à l’autre, le nom s’étoffe et donne vie à un personnage féminin polymorphe et flou. Les histoires mêlées de ces femmes sont soumises à la rumeur, au brassage du conte et du récit rapporté. « On disait, mais que ne disait-on pas, que… » Cette phrase, répétée à l’envi, dissocie le récit de la réalité. On prend pied dans un univers féminin fait de secrets transmis et de mystères indicibles.
Ce texte avait tout pour me plaire: des personnages féminins hors du commun, une narration faite d’analepses et de prolepses, un substrat symbolique nourri, etc. Mais le style ne passe pas. La langue de l’auteure, loin d’être mauvaise ou pauvre, m’a irritée du début à la fin de ma lecture, m’empêchant de m’attacher à ces femmes et me laissant un goût d’inachevé. La jonction entre l’évènement initial qu’est la coupure de la natte et le spectacle odieux de la vieillesse folle de Madame est maladroite, malhabile voire incohérente. Les ellipses ne sont jamais pour me déplaire quand elles évoquent plus que les mots. Mais le roman de Françoise Xénakis pèche par trop de subtilité et trop d’indicible. Peut-être faut-il se rapporter à la courte biographie de l’auteure, en quatrième de couverture, pour comprendre cette économie suspecte de mots : « Mariée à l’un des compositeurs les plus célèbres de notre temps, Françoise Xenakis est magistrate. Signe particulier: n’aime pas qu’on fasse allusion aux nombreuses décorations que lui valut sa conduite pendant la guerre alors qu’elle était toute jeune fille. » De là à penser que les combats des femmes, quelle que soit leur nature, ne souffrent pas d’être soumis à la plume, il y a un pas qu’il ne me plaît pas de franchir.