Raul ne décolère pas depuis que sa mère lui a encore refusé de l’argent. Le jeune homme veut tout obtenir d’elle, son attention et sa fortune, mais il veut aussi se venger de cette femme si distante et méprisante. « Je devais découvrir à tout prix le passage menant à l’intimité de ma mère ; et une fois à l’intérieur, trouver son point faible, le fil lâche sur lequel tirer. Jusqu’à la défaire. » (p. 19) Raul ressasse un ressentiment qui remonte à l’enfance, à ces deux étés qu’il a passés avec sa famille dans un village des montagnes, avec pour seul guide Fermin, un enfant du pays. Pour assouvir sa vengeance, Raul sait qu’il doit retourner dans les montagnes et questionner Fermin. « Le village est tout près maintenant. Mais je conduis sans me presser. Justement parce que je suis anxieux, à l’affût. Au milieu de deux histoires, de deux époques qui m’appartiennent, comme dans le remous fécond d’une embouchure. » (p. 11)
La deuxième partie appartient à Fermin. C’est lui qui reprend la narration et qui évoque le souvenir de cet été où Isabel Urbieta, la mère de Raul, a fait de lui un homme. C’est Fermin qui est le lien entre le fils jaloux et la mère distante. Fermin s’est accompli dans la vigne et il voit le vin comme une promesse, une chance d’être digne de la seule femme de sa vie. La fin de l’histoire est l’œuvre d’Isabel. Mère indigne, elle ? Plutôt pleinement consciente de la nature de son enfant et luttant pour ne pas se laisser dévorer, ni par lui, par sa mémoire. Dans la dernière partie, Raul est presque absent, c’est à peine un souvenir qui s’efface déjà.
Chaque partie est racontée par un personnage différent. Ainsi, la même histoire est vue de trois points différents, transmise par trois mémoires qui se complètent et s’annulent. « Ce que je veux dire, c’est que raconter, ça change tout. On résume le souvenir, on le transforme en un point de vue. On l’affaiblit. On le réduit à une simple version des faits. » (p. 178) Le ravissement de l’été offre une touchante réflexion sur la mémoire et la validité des souvenirs. « Même le souvenir ne conserve pas les sensations. » (p. 168) Ainsi, le ravissement est à la fois le bonheur éblouissant du passage à la vie d’homme, mais aussi la perte de quelque chose. Comme dans l’œuvre de Marguerite Duras, le même terme désigne deux réalités qui ne sont pas si éloignées : dans l’extase, chacun se perd un peu.
Ce roman m’a beaucoup rappelé Mamita de Michel del Castillo. Tout part d’une mère indigne pour remonter vers le passé douloureux d’une femme blessée. De bourreau à victime, les rôles s’inversent, se partagent et se complètent. J’ai aimé cette histoire, même si j’ai trouvé la dernière partie confuse et la fin trop abrupte. Ce roman reste un très bon roman pour l’été.