Premier roman de Jacques Braunstein. À paraître le 23 août 2012.
Le narrateur, DJ parisien d’une certaine notoriété, raconte à une jeune fille sa jeunesse dans les années 1980. « J’arrive à l’âge où chaque jour je m’invente un nouveau regret. Et je me laisse aller à les explorer. Ils me permettent de me replonger dans ma jeunesse passée. J’envisage ce que j’aurais pu ou dû faire. Ai-je fait les bons choix ? Pas toujours. D’autres auraient-ils été plus justes ou plus profitables ? Sans doute. Même s’ils n’auraient rien changé au fond. La délectation avec laquelle je m’abandonne à ces conjectures a quelque chose de morbide. Elles me détournent de ce qui aujourd’hui encore est jeune en moi, de ce qui est jeune dans le monde qui m’entoure. » (p. 11) Dans ce flot ininterrompu de paroles, de souvenirs et de réflexions, le narrateur revient sur la première vraie blessure de sa vie.
Un matin de printemps 1987, le narrateur s’est réveillé à côté de Sacha, la plus belle fille du lycée. Premier problème, il n’a aucun souvenir de la soirée. Deuxième problème, Sacha est morte. Pourtant, le lundi suivant, le jeune homme retourne dans la boîte à bac où il tente laborieusement de finir sa terminale, ne s’abstenant pas de sécher les cours et de fumer jusqu’au flou le plus profond. « Enfermés toute la journée, nous ne disposons que de nos soirées pour avoir dix-huit ans. » (p. 30) Pour le narrateur et ses amis, le plus important, c’est de pouvoir entrer en boîte : le Bus Palladium, les Bains-Douches, le Palace. Dans les lumières de la nuit et la musique des années 1980, entre rock et nouveaux sons, les adolescents font la découverte de la liberté, de l’ivresse et des filles. Mais vu deux décennies plus tard, le décor semble moins idyllique. « Peut-être que le Bus a toujours été comme ça, une boîte pour jeunes gens des beaux quartiers qui croyaient s’encanailler. Pour voyous et paumés qui pensaient côtoyer du beau monde. Le Bus n’était peut-être qu’un malentendu organisé. J’ai peut-être passé ma jeunesse sur un malentendu. » (p. 93)
Le narrateur cherche à comprendre ce qui est arrivé à Sacha, mais aussi à oublier ce terrible souvenir qui marque la fin de son insouciance. Et, comme tous les Parisiens, il vit dans l’angoisse diffuse des attentats qui secouent la capitale. « Ce printemps-là, j’oscillais constamment de l’abattement à l’euphorie, de la peur panique à l’indifférence. » (p. 74) L’adolescent se voudrait bohème, mais c’est difficile quand on vit de l’autre côté du périphérique alors que tous vos amis vivent intra-muros et sans compter. Être loin du centre, c’est être loin des boîtes de nuit, loin de la vie. Le degré de branchitude, avant l’heure, est inversement proportionnel au nombre de stations de RER qui séparent de Paris et des lieux où il faut se tenir. Avec le passage aux années 1990, tout pourrait devenir plus simple, mais le narrateur ne fait que glisser sur la même pente, celle que la mort de Sacha a initiée. « Mes souvenirs, j’en ai fait ce que je te raconte là, à force de revenir inlassablement sur cette poignée de réminiscences en désordre. Il n’y a pas d’autres témoins. Personne qui ait fait le lien à part moi. Je ne suis d’ailleurs pas le moins crédible. » (p. 25)
Loin du centre offre une peinture d’une époque, mais loin de l’image d’Épinal. C’est plus banal et plus sale, moins glorieux aussi, mais pas moins intéressant. Ce premier roman m’a rappelé celui de Jérôme Soligny, Je suis mort il y a vingt-cinq ans, toute en nostalgie douce-amère et souvenirs fervents. La musique y est omniprésente et les personnages sont impatients d’être jeunes et de tout goûter. La menace est explosive et elle peut surgir à chaque descente dans les souterrains parisiens. En suivant le narrateur, on découvre une géographie parisienne éclectique et débridée. Faut-il parler d’une génération désenchantée ? Oublions ce vocable à la mode et célébrons plutôt la jeunesse qui n’en finit pas de finir pour un peu qu’on se refuse à devenir sérieux. Loin du centre, près du cœur !