Colomba

Bande dessinée de Frédéric Bertocchini (scénario), Sandro, et Pascal Nino. D’après la nouvelle de Prosper Mérimée.

Pietranera, petit village des montagnes corses, pleure la mort de Della Rebbia. Pour Colomba, sa fille, l’assassinat est l’œuvre de l’avocat Barricini et l’homme doit être châtié à la mesure de son crime. « L’affront sera lavé par le sang. On n’assassine pas un Della Rebbia ainsi, en toute impunité. » (p. 3) Mais une femme ne peut pas se venger elle-même et Colomba doit attendre le retour de son frère, Orso. Après avoir servi dans l’armée napoléonienne, le jeune homme revient en Corse sur le même bateau que le colonel Nevil et sa fille Lydia. Et il revient du continent avec un certain calme, disposé à croire à la justice plutôt qu’à la vengeance.

« Pensez-vous, Monsieur le Préfet, qu’un Corse, pour être un homme d’honneur, ait besoin de servir dans l’armée française ? » (p. 6) Pour Colomba, Orso n’aura de l’honneur que s’il venge leur père en tuant Barricini. En l’absence de son frère, elle s’est attachée la fidélité de quelques bandits qui ont pris le maquis et elle a armé la maison, selon le proverbe, Si vis pacem, para bellum. Mais Colomba veut la guerre, jurant que le sang appelle le sang. « Sais-tu que la nature a eu tort de faire de toi une femme. Tu aurais été un excellent militaire. » (p. 39) Résolue à faire d’Oreste son bras armé, elle a fait de la vengeance sa raison de vivre, bien loin des préoccupations maritales qui animent les filles de son âge. « C’est très bien d’avoir du courage, mais il faut encore qu’une femme sache tenir une maison. » (p. 41) Cette parole d’Orso, nul doute qu’elle restera lettre morte tant que le père Della Rebbia n’aura pas obtenu réparation.

Quel plaisir de retrouver le texte de Mérimée ainsi sublimé par l’image ! Fascinée depuis longtemps par le mythe d’Électre, j’ai toujours beaucoup apprécié l’adaptation régionale qu’en avait faite Prosper Mérimée. Colomba est une farouche Électre qui pousse son frère Orso/Oreste à accomplir une vengeance dont il n’est pas convaincu au premier abord. Ah, ce que c’est d’avoir un destin et un devoir imposé par les traditions ! On peut aisément dire de Colomba qu’elle est mal nommée, n’ayant rien d’un oiseau de paix. Sombre, dure et inflexible dans ses éternels vêtements de deuil, elle est la première Érynie à tourmenter Oreste.

Dans son adaptation, Frédéric Bertocchini rend un superbe hommage à cette nouvelle corse et à l’île de beauté en général. La Corse est peinte en ce qu’elle a de plus sauvage et de plus fier. La bande dessinée est parfaitement fidèle au texte et lui apporte un dynamisme certain. La tragédie corse est magnifiquement servie par un dessin net et tranché, habillé de couleurs vibrantes. Et tout est dit dès la page de garde, aussi sanglante que superbe, à l’image de l’héroïne éponyme.

Une nouvelle fois, je ne peux que vous conseiller les œuvres de Frédéric Bertocchini, dont son magnifique Jim Morrison, poète du chaos. Il a prouvé qu’il était plus qu’à l’aise dans l’adaptation de textes courts en bandes dessinées : en témoigne Le horla d’après la nouvelle de Maupassant ou encore Kirsten, la petite fille aux allumettes d’après le conte d’Andersen.

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