Mudwoman

Roman de Joyce Carol Oates.

Jetée dans la boue de la Black River par sa mère alors qu’elle n’était qu’une enfant, Mudgirl a rapidement compris que l’amour serait une épine dans son existence. « Car c’était le point central de la vie de Mudwoman : être admirée, aimée. » Adoptée par un couple de quakers et rebaptisée Meredith Ruth – ou M. R. –, elle grandit dans un foyer chaleureux, bercée par les mots. Docteure en philosophie, elle est élue à la présidence d’une prestigieuse université américaine. Sa carrière est à son apogée et tout pourrait lui réussir. « Son pouvoir sur les autres venait qu’ils l’aimaient. Cet amour ne pouvait être que volontaire, librement décidé. » Hélas, son histoire la rattrape et la boue du passé menace de tout étouffer. Elle a beau se débattre, elle ne cesse de se forger de nouveaux démons qui se nourrissent de ses traumatismes.

Je l’ai déjà constaté, souvent à regret : il n’y a pas de résilience dans les romans de Joyce Carol Oates. « Tu n’as pas à comprendre pourquoi ce qui t’est arrivé est arrivé, tu n’as même pas à comprendre ce qui est arrivé. Il suffit que tu vives avec ce qui reste. » Les êtres sont marqués à jamais et, incapables de surmonter et de dépasser les plaies et les souffrances, sont finalement condamnés, voire damnés. La tristesse qui plane sur Mudwoman devient progressivement de plus en plus sordide. Certes, l’héroïne est une femme qui a toutes les raisons d’être très perturbée, mais le récit de son destin éternellement sacrificiel est à l’image de la boue, lourd et collant, à tel point que la grâce dont Oates a su faire preuve dans d’autres de ses romans est totalement absente de Mudwoman. Ici, tout est terrible et exagéré, comme les fantasmes de viol et de mariage qui occupent des chapitres dérangeants au milieu de la folie grandissante de M. R.

Entre passé et présent, l’histoire de Mudwoman – la femme de la boue – se caractérise par sa violence et par la brutalité dont elle fait montre à l’égard du lecteur. Outre les longueurs qui alourdissent ce texte déjà extraordinairement pesant, Joyce Carol Oates use et abuse des parenthèses et de l’italique, ce qui donne un texte qui se cache de lui-même, qui ne se laisse appréhender qu’au conditionnel. Enfin, il y a trop de choses dans ce roman. Tout commence avec le destin malmené d’une femme, puis s’incrémente d’une réflexion sur l’université, la politique et l’existence. Le tout constitue une somme hétéroclite où chaque partie se débat pour trouver sa place, dérangeant sans cesse l’ensemble déjà branlant.

J’ai relevé deux phrases qui caractérisent assez précisément le personnage de Mudwoman.

 « M. R. aimerait Andre Litovik plus qu’il ne l’aimait parce qu’elle avait une plus grande faculté d’aimer, comme elle avait une plus grande faculté de compassion, de patience, de générosité et de courtoisie. »

« Elle n’était pas belle, et le compliment la mettait mal à l’aise – elle n’avait aucune envie de se montrer à la hauteur de ce compliment. »

À trop tremper sa plume dans le sordide et le sombre, Joyce Carol Oates pourrait finir par me lasser. À ce jour, le roman que je préfère reste Mon cœur mis à nu dans lequel l’auteure a si bien su allier le cynisme, la noirceur et la grâce. J’aimerais vraiment qu’elle revienne sur ce chemin.

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