Roman d’Isabelle Duquesnoy.
« Pourquoi dorloter des enfants, ces êtres imbéciles et bruyants que l’on n’est point tenu de respecter ? » (p. 39) Victor Renard, jugé pour un crime abominable, raconte son histoire à la cour, devant une foule de plus en plus nombreuse à mesure que les jours s’écoulent autour de son récit. « L’attention que vous portez à mon récit m’encourage à vous en livrer les moindres détails. » (p. 197) Orphelin d’un père cruel, fils d’une mère haineuse, enfant laid et tordu, Victor a peu de perspectives de vie et d’espoir d’être heureux. « J’étais jeune, désœuvré, bon à peu, mais prêt à tout, pourvu qu’une opportunité m’apportât du divertissement. » (p. 101) Le gamin aurait pu mal tourner, voire finir à la guillotine, sans maître Joulia, embaumeur de son état. Le vieil artisan fait de Victor son apprenti et lui transmet un savoir très lucratif, mais avant tout très humain. « Comme les personnes décédées ne peuvent pas défendre leur propre dignité, nous devons en être les gardiens, c’est-à-dire traiter leur corps avec courtoisie. » (p. 146) Les années passent, Victor a retourné le mauvais sort : sa clientèle est fournie, sa renommée sans tâche et son ménage prospère. « Longtemps, je n’ai été que tordu, bon à rien, moche et pauvre. À présent, je suis riche du deuil des autres. » (p. 437) Hélas, depuis toujours, Victor aime Angélique, femme légère qu’il ne peut épouser et avec laquelle il ne peut consommer sa passion. De là viendra son malheur. Mais quel est donc ce crime infâme dont il s’est rendu coupable ?
Impossible de ne pas s’attacher à cet enfant mal-aimé et malmené, vivant d’expédients et de magouilles jusqu’à ce qu’enfin quelqu’un lui tende la main. La révélation finale repose sur un talent curieux et gênant de Victor : celui de retrouver ce que son père a perdu, oublié ou dissimulé… Il y a clairement des choses dont il ne faudrait jamais hériter ou qu’il ne faudrait jamais connaître. J’ai dévoré les quelque 600 pages de ce roman en deux jours, entre fascination et dégoût. « Le cadavre est une sorte de marchandise dont nous pouvons disposer librement : ses chairs sont utiles à bien des métiers, ses vêtements aussi. » (p. 55) D’Isabelle Duquesnoy, j’avais déjà apprécié La redoutable veuve Mozart.