Les visages pâles

Roman de Solange Bied-Charreton.

À la mort de Raoul Estienne, industriel qui a fait fortune dans les brosses à dents, son fils Jean-Michel envisage de vendre la Banéra, grande maison familiale. Mais ses propres enfants se braquent contre son projet. Pourtant, ils vivent tous à Paris. Hortense est à la tête d’une start-up performante, Lucile est graphiste à la Défense et Alexandre s’investit passionnément dans la Manif pour tous. Pour eux, liquider cet héritage bourgeois, c’est signer la fin d’une époque, perspective tout à fait insupportable. « Tous conclurent mentalement qu’il était regrettable que la perte des principes atteigne jusqu’aux élites, que c’était là le signe d’une dégénérescence. La fin des traditions était entérinée. » (p. 23) Les enfants de Jean-Michel se raccrochent à un passé glorieux et voudraient, en quelque sorte, arrêter le temps et nier une certaine forme de progrès social. Étrangement, c’est la jeune génération qui est la plus acharnée quand il s’agit de préserver le vieil empire familial pourtant décrépi et menaçant ruine. En fait, ce qu’il reste à protéger, c’est plus un souvenir qu’un véritable patrimoine industriel ou bourgeois.

Pour Jean-Michel, ses rejetons souffrent d’un excès de confort. « Le problème de ses enfants et des gens de la génération de ses enfants, c’est qu’ils étaient malheureux de n’avoir pas suffisamment souffert. Alors, ils se créaient des contraintes. Il n’y avait qu’à voir Alexandre qui avait demandé à passer son lycée dans un pensionnat de curés, et se laissait séduire par des pensées rétrogrades. En d’autres termes, ils ne supportaient pas que leur vie soit agréable. Paradoxalement, la moindre contrariété les bouleversait durablement. […] Il leur manquait vraiment cette colonne vertébrale que seule la frustration vient prodiguer aux hommes. » (p. 124) Finalement, Hortense, Lucile et Alexandre vont apprendre le tumulte et quitter la quiétude tiède de leur existence pour commencer à vivre comme tout le monde. Face aux peines de cœur et au désarroi professionnel, il n’y a pas de bourgeoisie : la société est enfin égalitaire. « Ce tas de cendres, c’était eux-mêmes, et ils se regardaient bien en face dans le miroir, et longuement chacun, Hortense, Lucile, Alex, avec l’effroi de vivre, l’effroi d’être finis, décombres parmi les décombres. » (p. 269)

Si j’ai lu ce roman avec intérêt, je n’ai pas éprouvé beaucoup de compassion pour les protagonistes, probablement parce que l’univers bourgeois m’est inconnu. Je retiens surtout la plume forte et affirmée de Solange Bied-Charreton dont le style moderne est tout à fait intéressant.

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