Roman de Françoise Lefèvre.
Céline Rabouillot est garde-barrière. Mais pour tout le monde, avant tout, elle est grosse. Trop grosse. « Tu as vu la grosse ? » (p. 9) Cent kilos qui dérangent. Son histoire, sa jeunesse à l’Est, son amour pour un vagabond, son enfant disparu, tout le monde s’en moque. Mais la médisance des autres ne l’atteint pas. Digne et royale, elle déborde de joie et d’amour. Elle comprend les enfants, sait se faire aimer d’eux. Elle est l’amie d’Anatolis, un vieillard malade qui lui répète « Tu es ma lumière » (p. 31) Généreuse au-delà du raisonnable et du possible, « [elle est] belle, lumineuse, à cause de cet amour qu'[elle] porte comme une boule de foudre à la place du cœur. » (p. 19)
Poignante histoire! Le rejet que subit Céline est violent et sale. Il colle aux mots. Mais, majestueuse et hors norme, Céline est une merveille antique et mythologique, un kaléidoscope de figures féminines. Céline, c’est la femme du Déjeuner sur l’herbe, c’est Léda, c’est La Laitière de Vermeer, c’est un modèle de Courbet. Céline, c’est Marie-Madeleine, rejetée, jugée, lapidée de mots, mais si généreuse devant ses détracteurs. Céline, privée de son enfant, est une mère incarnée, une Vénus callypige faite pour l’amour. Corps d’albâtre et de miel modelé pour la vie, Céline attend le retour de son vagabond, les retrouvailles qui la feront enfin femme aux yeux des autres. Céline rêve de Roland de Roncevaux, d’un chevalier preux qui la sauverait de sa solitude.
Légèrement décontenancée par l’absence de majuscule sur le premier paragraphe du livre, j’ai toutefois apprécié de plonger immédiatement dans le texte. La dédicace à René Guy Cadou et à sa femme Hélène est joliment reprise au sein du texte, par un hommage que le personnage fait au poète.
Le texte est poétique, touchant, mais trop court. Ou peut-être trop long, puisque l’on assiste à la pitoyable chute de cette femme sublime, à la déchéance ultime d’une figure dont personne ne veut. J’aurais préféré en savoir un peu moins, finir sur l’image chaude de Céline qui étend son linge en rêvant de voiliers, ne pas participer au lynchage culturel et stéréotypé de cette femme inadaptée. Mais je garderai de cette lecture un beau souvenir. Et je conseille le texte de Françoise Lefèvre aux amoureux des femmes, des vraies.