Premier roman de Carmen Bramly.
Sur l’île de Bréhat, le dernier soir de l’année 2010, Paloma et Pierre s’apprêtent à vivre la dernière nuit de l’enfance. Paloma a 14 ans. Pierre en a 16 ans. Tous deux enfants d’une bourgeoisie plus ou moins dévoyée, nourris de culture classique jusqu’à plus soif, ils jouent à se séduire pour cacher qu’ils s’aiment. Le désir et la séduction ne sont pas des armes anodines. Elles ont des lames doubles et des effets pervers. Paloma et Pierre, encore aux portes de la maturité, les manient avec maladresse, mais tous les coups font mouche.
Pierre, « le genre petit rockeur débraillé » (p. 16) et Paloma qui ne sait pas « si [elle] préfère les tons pastels ou les couleurs fauves » (p. 14) se lancent dans une parade amoureuse tortueuse et violente, aux accents de tango, sur le son débridé des rocks des années 1960. Du haut de leur adolescence insolente, ils explorent les arcanes pernicieuses du carré amoureux, reformant pour quelques heures un cercle d’amis d’enfance déjà dissout. L’innocence est désormais souillée et sublimée par le désir.
La soirée du réveillon, si fraîche à ses débuts, simple et grave badinage de deux enfants amoureux, tourne à l’équipée nocturne quand Paloma et Pierre prennent la mer pour une île indistincte. En voulant recréer l’utopie romantique de Paul et Virginie, ils ne font que mettre en scène la vie au lieu de la vivre.
La jeunesse est fascinée par ce qui brille et surtout par les étoiles noires. Paloma entretient une fascination vaguement amoureuse pour Peter Doherty. Peter/Pierre, le parallèle est aisé et l’on sait qui est au cœur des fantasmes de l’adolescente. Pierre joue à l’homme en fumant et buvant, nécessaire mais dangereuse exploration des paradis où les sensations qui, pour être plus puissantes, ne sont que mensonges. La désinvolture forcée des personnages se mêle à la fraîcheur noire de l’adolescence. On assiste littéralement à un moment sur le fil, où tout n’est que frange.
La foi en l’avenir est entachée de pessimisme et de doutes, mais aussi de morgue et de révolte idéale. Pierre veut être un « intellectuel de gauche avec des idées de droite. […] En gros, […], tu te poses à la terrasse du Flore et, tout en lisant Le Canard enchaîné, tu prônes la nécessité pour la France d’avoir une élite prolétaire bien présente, et en toi-même, tu penses que si un seul connard met le pied à Saint-Germain-des-Prés, tu l’exploses au Kärcher. » (p. 40) Bouillonnant vivier d’idées et d’aspirations, l’adolescence se veut le reflet du monde de demain. Paloma et Pierre se fantasment eux-mêmes. Posséder l’autre leur permettra aussi de se posséder eux-mêmes.
C’est un roman où l’adulte n’a pas de place. Vaguement cité, jamais incarné, sans contour, il ne peut exister dans l’univers exclusivement adolescent de Paloma et Pierre. Soumis aux mêmes règles que le reste des autres mondes, cet univers est impitoyable. La jungle n’est jamais loin de la prairie en fleurs et le tigre revêt souvent les atours de la brebis.
Ce roman sur l’adolescence a pour plus grand mérite d’avoir été écrit par une adolescente. Enfin un texte qui n’est pas du Salinger d’opérette ! L’auteure a 15 ans, à peine plus que son héroïne. Son premier roman est beau, porté par une écriture fine et jeune. J’espère vraiment que cette plume grandira et mûrira avec sa propriétaire, pour la retrouver dans d’autres textes en prise avec d’autres âges. Je lui souhaite, pourquoi pas de recevoir les honneurs du Flore !