Bande dessinée de Derrick Jensen et Stéphanie McMillan. Offert par Liliba dont voici l’avis.
Bananabelle et Kranti sont deux amies. La première est optimiste et pense qu’il suffit de suivre des listes et des préconisations pour sauver la planète. La seconde est plus que pessimiste, elle est réaliste et voit toujours le revers de chaque médaille. « Nous irons tranquillement, docilement vers la fin du monde, si vous nous laissez croire qu’acheter des ampoules basse consommation suffira à nous sauver. » (p. 15) Alors qu’elles tentent, à leur niveau de sauver le monde des désastres écologiques qui le guette, des robots aliens décident de manger la Terre. Contre force or, le Président de la première puissance mondiale leur accorde tous les permis pour se régaler des ressources naturelles terrestres. Ces aliens sont très étonnés de constater combien il est facile d’obtenir ce qu’on veut des humains. (planche suivante page 20)
Un lapin en peluche (hiiiiiiiiiii ! j’adore !) borgne (pauvre petit bout !), Bunnista, devient activiste militant : il détruit des barrages qui causent la mort des poissons et libèrent des animaux de laboratoire. Immanquablement, il devient aux yeux des puissances un terroriste. Tous les lapins sont diabolisés, « ce sont des machines à tuer. » (p. 141) Les puissances politiques et économiques ne tolèrent pas qu’on les empêche de mener leur business frauduleux. Mais la nature n’entend pas se laisser faire. Si les hommes politiques et les multinationales sont décidés à faire toujours plus de profit au détriment de la vie, la vie elle-même se rebelle. Les animaux dénoncent les dérives humaines qui ont détruit l’harmonie avec la nature. Bêtes, bestioles, plantes, rochers, chacun s’arme de son courage et de sa rage pour détruire les robots aliens qui mangent la terre. Mais ce n’est qu’un premier combat. La machine humaine, faite de production intensive et de business de « surconsommation durable » (p. 26), continue à scier la branche sur laquelle elle est assise. Et ce n’est qu’ensemble que les hommes et la nature sauront réagir. « Rendez au lieu de prendre encore. » (p. 152), voilà le mot de la fin d’un loir avisé.
La dédicace « À nos mères » est un aveu émouvant de culpabilité. Nos mères sont-elles fières de nous voir détruire la terre? Au sens de mères, j’entends bien plus que notre maman, j’entends toutes les femmes, toutes les faces de la nature et de la vie. La Terre n’est pas à vendre, ni aux multinationales, ni aux aliens, ni aux hommes.
La bande dessinée met en garde contre les listes qui masquent le problème et semblent le rendre facile à résoudre. 50 gestes pour la terre ou 365 gestes pour sauver la planète sont des évidences, mais pas des panacées. Le sous-titre de la bande dessinée est un pied de nez à ces fascicules. Le texte met aussi en garde contre les pacifistes extrêmes et les doux rêveurs écologiques dont l’action – ou l’inaction – ne sert en rien les intérêts de la survie écologique. Si prendre une arme n’est pas la solution, l’heure n’est cependant plus à la méditation. Les utopistes écologistes et démocrates, incurables optimistes, ne servent pas la cause qu’ils défendent. L’action est désormais le nerf de la guerre. Reste à trouver quelle action mener.
La bande-dessinée dénonce la manipulation des médias et de l’information et critique avec une bonne dose de vitriol les procédés télévisuels: « Et maintenant, il est temps de marquer une pause avec un message de notre sponsor, Monsanto. Restez avec nous après la pub pour une grande enquête sponsorisée par ExxonMobil, que vous ne voudriez rater à aucun prix, intitulée: Le réchauffement climatique facilitera-t-il le bronzage? » (p. 131) En quelques mots, on trouve de la publicité, de la futilité et de la manipulation. Pour le lecteur averti, il ne manque plus qu’une piqûre de rappel et un (re-)visionnage du Monde selon Monsanto et de Une vérité qui dérange.
Un point récurrent m’a un peu fait tiquer. Le Président américain, aux airs de George Bush non dissimulés, est un incompétent légèrement alcoolique et infantile. Il se prend pour le maître du monde. C’est lui qui vend le monde à tour de bras, au plus offrant. Le scénario accuse donc clairement les USA – la mention de Monsanto et ExxonMobil prévient tout doute à ce sujet. Mais voilà, rejeter entièrement la faute sur les USA, c’est un peu gros. Même si ce pays, puissance mondiale numéro 1, est un fabuleux pollueur, il n’est pas le seul coupable. D’autres pays comme la Chine ou le Mexique et même la France ont bien des progrès à faire pour redresser la barre et tenter de sauver ce qui peut l’être. Ce n’est pas du pro-américanisme, mais un simple partage de responsabilité. Il ne sert à rien de se passer la patate radioactive, tous les pays sont concernés.
La lecture de cette bande-dessinée est rapide et plaisante. J’ai beaucoup aimé les personnages : les méchants sont moches, les gentils sont plus agréables à regarder. Il y a quelques planches un peu rudes : la visite du laboratoire d’expérimentation animale, les vivisections, etc. Enfin, du moment qu’on touche aux animaux, moi je craque… L’histoire se déroule vite et intelligemment. Les dialogues sont percutants et il me semble qu’ils balaient largement tout le sujet : les fausses bonnes solutions sont dénoncées, les abus également mais les réussites sont soulignées et c’est peut-être ce qui manque le plus aujourd’hui dans la communication écologique: certes, le tableau est noir, mais rester dans le défaitisme et l’échec n’est pas la solution. Sans devenir d’indécrottables optimistes, il s’agirait de communiquer avec davantage d’espoir.
Bref, voilà une œuvre percutante, que je vais relire souvent !