U est amoureux de Marie-Neige. « Elle occupait le château des compartiments de son cœur, le soulageait de ses croyances, lui permettait de transgresser ses limites. Elle lui donnait l’énergie de lutter à chaque seconde pour se sauver de la médiocrité ; l’empêchait de s’enfoncer dans une existence automatique, qui le dispensait d’être, loin des innombrables tracasseries existentielles. » (p. 21) Un jour, il osera l’aborder et elle sera la femme de sa vie. Mais il a pour le moment un gros problème : on lui a injecté un antidote, et il faut qu’il contracte la maladie pour ne pas mourir. Il cherche donc l’affection qui lui sauvera la vie. Il croise des personnages étranges : un psychologue en camisole, une vieille femme avec des dés, un homme dans un cercueil, un magicien, un poisson et une cigarette qui parlent sont autant de rencontres avec la folie et de réflexions sur le sens de la vie. Mais « U n’en peut plus. Il a l’impression d’être dans un roman écrit par un cinglé. » (p. 91)
U cherche le sens des choses, le but de l’existence et de la mort. « Il éprouvait l’étrange désir de devenir un pont. Celui qui relierait les deux rives et par lequel l’infinité de la folie rejoindrait la platitude concrète du réel. » (p. 10) Dans une ville où chacun parle de la folie et de la mort, mais où personne ne se reconnaît comme fou ou mourant, il est bien difficile de garder les pieds sur terre. Tout le monde semble bien dérangé dans le monde de U, lui-même doux dingue qui s’ignore.
Le texte d’Ugo Monticone est un solide. Les jeux de mots et les détournement d’expressions populaires secouent la langue et la gondolent. La mise en page elle-même force le lecteur à manipuler le texte au-delà du simple geste de tourner les pages : il faut renverser le livre pour comprendre les paragraphes à l’envers, il faut malmener les phrases et remettre dans l’ordre des lettres qui jouent à saute-mouton pour mieux égarer le lecteur. À chaque page, un petit bonhomme situé sur le côté droit de la page, avatar de U, bouge aussi, se retourne, se transforme et se désagrège jusqu’à la révélation finale. Lire U, c’est voyager dans le livre et laisser les frileux au bord de la première de couverture, tout à fait renversante.
La narration est un objectif qui zoome et dézoome sans cesse. Tantôt U assume le récit dans une parole directe et personnelle, tantôt c’est une autre voix, anonyme et distante, qui s’empare du récit et qui nous montre U déambulant dans la ville, à la recherche de l’affection qui doit contrecarrer le vaccin mortel, à la rencontre de la femme de sa vie et à la poursuite du sens des choses.
L’humour est omniprésent. Mais c’est l’absurde qui l’emporte quand le comique devient tragique. « Sachez jeune homme que je n’ai jamais trompé ma femme ! Je me suis trompé de femme, voilà tout. » (p. 59) Le tragique devient également menaçant : « Le meilleur n’a pas d’avenir. Reste le pire, dont le meilleur est à venir. » (p. 72) Alors oui, on rit mais on entend résonner longtemps le memento mori des ancêtres.
Un petit air de Boris Vian, une pincée de Jarry et un soupçon de Kafka et voilà un texte épatant. L’auteur livre une réflexion philosophique fine et gentiment acerbe. Le texte est court mais il n’en fallait pas plus. Et c’est toujours un plaisir pour moi de retrouver les rues de Montréal et de revoir mon cher Québec !