Roman de Jean-Philippe Blondel.
À 22 ans, le narrateur (? probablement, et puis ?) est orphelin : sa mère, son frère et son père sont successivement morts en voiture. Orphelin donc, désemparé, privé des couleurs, mais riche de l’héritage familial, il entraîne Laure et Samuel vers Morro Bay, coin perdu d’Amérique, avec pour seule boussole une chanson de Llyod Cole. Un seul objectif : continuer à vivre. Mais c’est un pari difficile quand tout ce qui le retenait a disparu et ne subsiste qu’en lui. « J’ai vingt-deux ans et je suis le dépositaire de leurs histoires inachevées. J’ai vingt-deux ans et je suis un reliquat de récits. Une survivance. Un putain de séquoia. » (p. 95)
Ce voyage en Amérique voudrait ressemble aux road-trips mythiques de la légende de l’Ouest. Mais cette errance dans le désert américain, au volant d’une Thunderbird, est avant tout une quête. « Je fais ce voyage pour trouver mon itinéraire singulier, alors, en marge, je trace mon sentier. » (p. 114) Le narrateur pourrait tout se permettre, tout essayer. Mais seul au monde, il cherche également qui il est. Dernier vivant d’une famille décimée, quel est son talent ? « Moi, je ne sais pas en quoi je suis doué. En capacité de survivre au décès de mes proches, peut-être. » (p. 214) Ce cynisme est de mauvais aloi, mais la pulsion de vie reprend le dessus, douloureusement. Même si la tentation de la mort est grande, le narrateur vivra. Et même s’il portera toujours ses morts, il n’est plus tenu de leur rendre un constat hommage.
Le trio d’amis est bancal. Laure est l’ex petite amie et Samuel l’ex meilleur ami. Laure et Samuel sont ensemble. Ou presque. Ou pas vraiment puisque le narrateur est là et qu’il a besoin d’eux. « Insensiblement, nous formons un trio. Un vrai. Contrairement aux apparences, cela n’est venu que petit à petit. À force de route et de Thunderbird. Nous étions partis, trois éléments morcelés, prêts à prendre des envols différents. Le voyage nous colle ensemble. » (p. 163) Au-delà de la donne amoureuse, c’est une amitié qui se crée. Même ambiguë et imparfaite, cette relation est de celles qui sauvent.
Au début du texte, le narrateur ne voit plus les couleurs. Tout est noir ou tout est blanc, atrocement blanc. Cette surexposition douloureuse, c’est la pellicule de sa vie qui crame. Ce sont les regrets et les chagrins qui explosent enfin, c’est la rancœur contre le père qui trouve sa voie, c’est la tendresse pour la mère qui n’a plus peur de se montrer. Ce trop-plein d’émotion fait disjoncter. Et le fusible, ce sont les couleurs. Parce que les couleurs sont la vie, elles disparaissent le temps que le deuil ait fait son œuvre, le temps qu’il ait tout ravagé. On reconstruit mieux sur une table rase que sur des ruines branlantes. Et, même si c’est hésitant, les couleurs reviennent quand le narrateur reprend pied.
Pudique et bouleversant, ce roman prend au cœur. Ceux qui ont perdu un être cher comprendront. Les autres aussi, parce que la mort n’est jamais une abstraction. Elle rôde sans malice, elle remplit son office. Tout ce que nous pouvons faire, en l’attendant, c’est rester vivant.