Roman de Kéthévane Davrichewy.
Alice et Cécile étaient les meilleures amies du monde. Elles ne se cachaient rien et vivaient tout à deux. Mais c’était avant : maintenant, les deux femmes mènent leur vie loin l’une de l’autre. « Le plus souvent, elle s’efforçait de ne pas penser à Cécile. Ou, au contraire, elle s’y obligeait, car l’oubli était indigne. Peut-être était-il simplement impossible. Leurs vies avaient été trop intimement liées pour que son inconscient la libère. » (p. 15) La merveilleuse amitié a laissé place à la distance et à la rancœur.
Très vite, on comprend que Philippe, le frère adoré de Cécile, a joué un rôle déterminant dans l’amitié entre les deux filles. « Ce garçon mythifié se mit à hanter Alice. » (p. 33) Si l’on se doute vaguement de la suite, ce n’est que le sommet de l’iceberg. Dans la famille de Cécile, il n’y a que mensonges, secrets et dissimulations. Alice était plus heureuse avec ses sœurs et ses parents soudés. « Elle fut parfaite, adoptant une attitude d’acolyte atone qui resterait la sienne pendant des années. À la lisière de la vie de son amie, elle l’assurait de son soutien et de sa compréhension sans faille. » (p. 39) Les deux gamines, puis adolescentes, vivaient à la fois chez l’une et chez l’autre, chacune toujours présente pour la seconde. « Heureusement que tu existes dit Cécile. / Oui, répondit Alice, heureusement que nous sommes là. » (p. 49)
Mais les voilà, Alice et Cécile, des années plus tard. Elles se sont mariées, ont divorcé et eurent des enfants. Elles se sont éloignées. « Cécile aurait dû savoir qu’Alice n’était pas toujours ce qu’elle paraissait être, tout comme Alice le savait de Cécile. » (p. 103) Mais pour Cécile, le dialogue continue, même s’il n’est qu’intérieur. Dans sa chambre d’hôpital, plongée dans le coma, elle s’adresse à son amie perdue et comble les blancs que les souvenirs d’Alice laissent à chaque page. On refait alors tout le chemin qui a mené à la séparation, on trébuche avec elles sur tous les petits obstacles qui ont consommé la rupture. « Imperceptiblement, l’attention, la tendresse, se sont transformées en irritation, en impatience. » (p. 120) D’un chapitre à l’autre, on entend la voix de Cécile ou l’on se perd dans le récit solitaire d’Alice.
En marge de l’histoire de cette amitié, on revit les années 80 qui, pour certains, furent glorieuses. Glorieuses, elles le sont au moins dans les mémoires. On assiste aux relations amoureuses de jeunes gens qui vivent dans la futilité du contact, mais qui sont avides de créer du lien. J’ai été très sensible aux deux premiers tiers du roman. La fin m’a un peu ennuyée : comme l’impression que l’auteure a accumulé les révélations fracassantes pour relancer un récit qui avançait très bien tout seul.
Mais le nœud de l’histoire me parle profondément. Une amitié sublime et perdue, je sais ce que c’est, d’autant que j’en suis majoritairement responsable. J’ai apprécié la façon dont l’auteure présente la lente décrépitude du lien : les séparations tonitruantes, c’est finalement assez rare. On vit plus souvent un relâchement et une lassitude coupables. Kéthévane Davrichewy offre un récit sensible et pudique finalement convaincant.