Léon Bloy se fait le biographe de Joris-Karl Huysmans et il présente l’auteur avant et après sa conversion religieuse. « Ayant été son apôtre, hélas ! ayant travaillé et souffert assez longtemps pour qu’il devint un chrétien, l’excessive médiocrité de sa nature exigeât que je fusse payé aussitôt de la plus affreuse ingratitude et que je contemplasse en lui le plus extraordinaire avortement de la grâce. » (p. 9)
Avant sa conversion, Huysmans était l’auteur chéri du critique Léon Bloy. Avec À rebours, l’auteur rompait enfin avec les odieux naturalistes et le « crapuleux Zola » (p. 22) Il exprimait une spiritualité qui faisait écho à celle de Léon Bloy qui ne tarissait pas d’éloges sur cet auteur atypique, unique et spectaculaire. « Huysmans tasse des idées dans un seul mot et commande à un infini de sensations de tenir dans la pelure étriquée d’une langue despotiquement pliée aux dernières exigences de la plus irréductible concision. » (p. 23) Dithyrambique ? Oui, et d’autant plus élogieux avec l’auteur qu’il est impitoyable avec les lecteurs qu’il considère sans aménité, incapables qu’ils sont de comprendre le somptueux talent de Huysmans. Rares sont ceux qui sont dignes de son estime : « seulement les âmes contemporainement matelassées d’une épaisse toison de bêtise impénétrable à n’importe quelle balistique de l’Art. » (p. 30)
Mais quand Joris-Karl Huysmans publie Là-bas, il s’attire les foudres de Léon Bloy : « Le nouveau livre de Huysmans est la plus monstrueusement futile des rapsodies contemporaines. Je ne crois pas que l’incirconcision littéraire ait encore affiché un aussi furieux dévergondage d’informations anarchiques. » (p. 58) C’en est fini des éloges et hommages, Huysmans représente désormais tout ce que le critique abhorre. Et il se focalise sur l’adverbe que l’auteur utilisait tant dans ses titres et ses textes. « Le dynamomètre de son esprit, c’est la locution adverbiale ». (p. 72) Pour le critique qui se sent trahi, Huysmans n’est plus qu’un grammairien outrancièrement converti, un chrétien illuminé.
Léon Bloy porte la critique littéraire à un niveau exceptionnel : il connaît son sujet, qu’il l’aime ou le haïsse. L’admiration la plus vive laisse place au mépris le plus profond après la conversion et la prétendue trahison de Huysmans. Cet opuscule est riche en informations sur l’œuvre de l’auteur, mais c’est avant tout un superbe exemple de critique littéraire telle que j’aimerais en lire davantage.