Roman d’Émile Zola.
Marthe et François Mouret mènent une paisible vie de négociants retraités à Plassans. Ils habitent une belle maison de village avec leurs trois enfants, Octave, Serge et Désirée. Vient le jour où Mouret décide de louer le deuxième étage à l’abbé Faujas et à sa mère. Chez les Mouret, on n’est pas vraiment religieux, plutôt athée, voire révolutionnaire. Les premiers temps de la cohabitation sont tendus : Mouret voit d’un mauvais œil la discrétion de son locataire et « la volonté bien nette prise par l’abbé de se tenir barricadé chez lui. » (p. 39) Et partout en ville, on se demande qui est cet abbé et quelles sont ses intentions. « L’abbé Faujas tendit les bras d’un air de défi ironique, comme s’il voulait prendre Plassans pour l’étouffer d’un effort contre sa poitrine robuste. » (p. 30)
C’est dans le fameux salon vert de Félicité Rougon, la mère de Marthe, que l’abbé Faujas révèle ses ambitions. Ce salon, objet des convoitises des Rougon dans La fortune des Rougon, est un panier de crabes où tout Plassans se retrouve. « Les Rougon vous font oublier Paris. On ne se croirait jamais à Plassans, ici, c’est le seul salon où l’on s’amuse, parce c’est le seul où toutes les opinions se coudoient. » (p. 85) Dans le salon vert, les ragots et les médisances vont bon train, mais une conversation peut compromettre une situation. Alors, si tout le monde y est reçu, il faut surveiller ceux qui s’asseyent à côté de vous. Et même si l’on méprise les Rougon pour leur fortune de parvenus, on enrage de ne pas avoir ses entrées dans ce salon.
Après des débuts déplorables dans la bourgeoisie provinciale de Plassans, l’abbé Faujas se rachète doucement une conduite en incitant Marthe à créer une maison pieuse pour les jeunes filles. « Les Mouret, d’ailleurs, étaient devenus l’honorabilité de l’abbé Faujas. » (p. 129) L’épouse Mouret entraîne dans son sillage toutes les matrones de la ville qui se réjouissent d’afficher leurs largesses dans une œuvre sociale. Désormais, c’est à qui s’attirera les bonnes grâces de l’abbé et s’en fera remarquer. En réalité, l’abbé Faujas tisse une toile patiente : il passe par les femmes pour atteindre les maris et amadouer l’évêché. Ses ambitions religieuses n’ont rien à envier aux manigances politiques qui ont agité la ville quelques années plus tôt.
Le changement le plus important est celui de Marthe. L’épouse placide, toute dévouée à sa famille et à la tenue de sa maison, devient soudain enragée de religion, totalement acquise à Faujas qui ne sait comment tempérer les ferventes ardeurs de la ménagère. Impuissant, Mouret voit peu à peu son épouse, sa famille et même sa maison lui échapper, pour passer aux mains de l’abbé, de sa mère et de sa sœur. Et il n’y a pas jusqu’à son précieux jardin, son havre de paix et de bonheur, qui lui est retiré. L’emprise des locataires sur la maison des Mouret semble sans limites et représente la miniature de ce qui se passe à Plassans. Au terme du roman, la ville est complètement acquise à l’Empire, les dernières poches de résistance ont été vaincues. L’abbé Faujas a réussi la conquête de Plassans.
Ce roman peut se lire directement après La fortune des Rougon. On y retrouve Félicité, toujours ambitieuse et accrochée à sa richesse toute neuve. La brouille entre les Rougon, les Macquart et les Mouret, de proches cousins, ne cesse de grossir. Même loin de Paris, la bourgeoisie s’accroche à ses privilèges. Après tout, Plassans aussi offre à ceux qui savent les saisir des opportunités grandioses de faire fortune. « Plassans est une petite ville où l’on s’accommode un trou à la longue. » (p. 83)
Comment expliquer ce grand bonheur qui me saisit chaque fois que j’ouvre un roman d’Émile Zola ? Je retrouve sa plume avec un plaisir fou et la certitude de ne pas être déçue. La conquête de Plassans a tenu toutes ses promesses. Le temps d’un roman, l’auteur m’a entraînée loin du Paris des autres volumes de la saga Rougon-Macquart. Et je reviens enchantée de mon voyage et de la lecture de cette étude acerbe de la société bourgeoise qui sévit en province.