Roman d’Émile Zola.
Voici Eugène Rougon que l’on avait croisé dans La Curée. De retour à Paris, on fréquente l’Assemblée nationale et les couloirs de tous les ministères. Eugène Rougon y est tout puissant, mais il vient de donner sa démission du Conseil d’État. « J’étais résolu depuis longtemps à abandonner la haute situation que je devais à la bienveillance de l’empereur. » (p. 43) Patiemment, il attend que l’Empereur lui redonne sa faveur. En attendant, le Tout-Paris se presse chez cet homme colossal qui semble de taille à faire plier la politique impériale. Chacun s’accorde à dire que Rougon ira loin. « Le jour où Rougon quittera le Conseil d’État, ce sera une perte pour tout le monde. » (p. 12) Le seul défaut de Rougon, c’est d’être célibataire, mais l’homme se défie des femmes.
Ce que Rougon n’avait pas prévu, c’est que son plus grand adversaire serait Clorinde, jeune Italienne demi-mondaine qui cherche un mari. Rougon la surnomme Mademoiselle Machiavel et il s’épuise à la conquérir. Finalement, il la marie à un député et épouse une autre femme. Et c’est là que Clorinde a cette phrase prophétique : « Vous vous croyez plus fort que moi… Vous avez tort… Un jour, vous pourrez avoir des regrets. » (p. 147) D’abord, Rougon croit être libéré de l’emprise de la jeune femme, bien à l’aise dans son nouveau fauteuil de ministre. Mais sa chute viendra d’ailleurs, de cette bande d’amis à qui il distribue faveurs et positions. Orgueilleux despote qui voulait régner sur la France, Rougon risque de perdre l’oreille de l’Empereur. « Vous avez trop d’amis, monsieur Rougon. Tous ces gens vous font du tort. Ce serait vous rendre un service que vous fâcher avec eux. » (p. 349) Rougon se relèvera-t-il de la disgrâce qui se profile ?
Après un début un peu longuet – il faut dire que la politique m’ennuie tellement ! –, je me suis régalée avec ce nouveau volume de la saga des Rougon-Macquart. Émile Zola décortique les mœurs politiques et fait la peinture cynique d’un homme dont les ambitions et la rage de pouvoir font la gloire et le malheur. Eugène Rougon est le digne fils de Félicité Rougon qui règne sur Plassans : ils sont tous deux avides de pouvoir et prompts à saisir toutes les occasions qui leur donnent l’ascendant sur le commun des hommes. On navigue, avec plus ou moins de houle, dans un univers d’intérêts, d’affaires en cours, d’alliances, de promesses et de passe-droits. Dans ce monde très parisien, Rougon a des restes de bourgeois monté de la province. Il attend de son mariage qu’il lui donne une situation. « Depuis longtemps, il avait envie d’un intérieur bourgeois qui fût comme une preuve matérielle de sa probité. » (p. 151) Mais Rougon se débat et veut repousser les frontières du pouvoir. Comme son frère Aristide qui se régalait de détenir tout Paris, Eugène ne vit que pour être plus puissant que les puissants.
Je ne peux m’empêcher de penser qu’Émile Zola, sous le portrait féroce qu’il fait du politique, avait une tendresse pour l’homme. Le personnage est effrayant, mais je l’ai trouvé également attendrissant : il a la rage des anciens faibles et des anciens pauvres. Certes, il manœuvre odieusement, mais je l’ai trouvé superbe et d’une franchise inaltérable : il ne cache pas ses ambitions et il ne plie pas. Encore un très bon épisode, même s’il ne fait pas partie de mes préférés.