Roman d’Émile Zola.
Octave Mouret arrive de Plassans avec la furieuse envie de conquérir Paris en passant par les femmes. Commis en tissus, il est embauché au Bonheur des Dames et rêve de séduire la patronne, Mme Hédouin. Octave loge dans l’immeuble de M. Vabre. Chaque étage accueille un parent du propriétaire et chaque ménage se veut honnête et bien arrangé. Lors des soirées bourgeoises où les voisins sont toujours invités, on discute des affaires de la famille. Mais, surtout, on essaie de marier les filles. C’est l’obsession de Mme Josserand qui ne sait plus que faire des siennes. « Hortense et Berthe hochèrent la tête, comme pénétrées de ces conseils. Depuis longtemps, leur mère les avait convaincues de la parfaite infériorité des hommes, dont l’unique rôle devait être d’épouser et de payer. » (p. 111) Quand le mariage de Berthe est enfin arrivé, rien ne se calme dans l’immeuble. Des querelles d’héritage et des dots non réglées agitent l’immeuble d’une même fièvre, celle de l’argent qu’on n’est jamais vraiment sûr de posséder tout en l’ayant dépensé pour bien paraître aux yeux de la famille et des voisins.
Le mariage de Berthe et Auguste Vabre est rapidement un échec, notamment parce que l’ombre de Mme Josserand plane sans cesse. « Sans doute […] on n’épouse pas seulement la fille, on épouse la mère souvent, et c’est bien désagréable quand celle-ci s’impose dans le ménage. » (p. 181) Voilà la sinistre particularité de cet immeuble où tout le monde sait ce que cachent les portes closes. M. Campardon, l’architecte diocésain, cocufie son épouse avec sa propre cousine. Chez les Pichon, l’héritage est conditionné au nombre d’enfants : les beaux-parents ne verseront pas un sou si leur gendre fait plus d’un rejeton à son épouse. De sa cour, M. Gourd, le concierge, veille d’un œil intransigeant sur les allées et venues de tous. En cerbère des bonnes mœurs, il déteste la familiarité et la liberté des domestiques qui se moquent bien de lui.
Le pot-bouille, c’est la tambouille, la mauvaise cuisine faite de viande rance et de légumes flétris. C’est aussi le creuset où macère la crotte des petits bourgeois. La façade luxueuse de ce nouvel immeuble haussmannien dissimule des intérieurs chiches et crasseux. Les filles de cuisine et les domestiques gueulent aux fenêtres et sont les maîtres de l’arrière-cour. Et les baquets d’eau sale versés au ruisseau ne dissimulent pas la condition très humaine des locataires des lieux. Ça se pique de bourgeoisie et de mondanité, mais ça reste toujours des esprits étroits, vaniteux, arrivistes et intéressés. Ils ne sont séparés de la plèbe que par des plâtres bien essuyés et quelques meubles retapissés. « Quand ils se sont crachés à la figure, ils se débarbouillent avec, pour faire croire qu’ils sont propres. » (p. 465) Seul l’oncle Narcisse Bachelard a l’honnêteté de ses crasses. De tout le roman, on sort à peine de l’immeuble, mais c’est un monde à lui seul, un fabuleux microcosme parisien dont Émile Zola peint un tableau très cynique, voire cruel.
Quant à Octave, le futur propriétaire ambitieux du Bonheur des Dames, il va prendre une maîtresse à chaque étage, s’immisçant ainsi dans les intimités de tous les foyers. Lui qui était habitué à des succès faciles auprès des filles de Marseille, il enrage tout d’abord de ne faire plier aucune des jolies Parisiennes qui lui passent sous la main. « [Il] voyait un mauvais présage, une véritable atteinte à sa fortune, dans la déroute de ses séductions. » (p. 230) Finalement, il ne peut dissimuler un vague dégoût et une lassitude certaine du beau sexe : « Décidément, on n’aime bien que les femmes qu’on n’a pas eues. » (p. 385)
Vite, il me faut (re)-lire Au Bonheur des Dames ! Un Zola en appelle toujours un autre et mes vagues souvenirs de l’épisode à venir se sont réveillés à la lecture de cette description féroce de la petite bourgeoisie parisienne. Dans ce volume, Émile Zola ne met pas en avant la dégénérescence et l’atavisme de la famille Rougon-Macquart et de sa branche Mouret. Son étude sociale des mœurs sous le Second Empire lui fait explorer tous les univers en passant parfois par des prétextes : malgré ses conquêtes et ses liaisons, Octave Mouret a un rôle secondaire. Toutefois, je me suis parfaitement délectée de ce volume où l’auteur a une fois de plus fait montre de toute l’étendue de son talent.