Roman d’Émile Zola.
Hélène est veuve depuis quelques années et n’est occupée que du bonheur de sa fille Jeanne, une enfant à la santé et aux nerfs fragiles. « Veillez surtout à ce qu’elle mène une vie égale, heureuse, sans secousses. » (p. 22) Dans leur appartement de Passy, la mère et la fille vivent bienheureuses, sortant rarement et rencontrant peu de monde. Un soir de fièvre, Hélène fait appel à son voisin, le jeune docteur Henri Deberle. Le trouble qui s’empare d’eux est d’abord timide et chaste, mais bien vite, Hélène et Henri ne peuvent plus contenir leurs sentiments. Pourtant, régulièrement reçue par Mme Deberle, Hélène prend la résolution de ne pas consommer cet amour.
« Certes, elle aimait son enfant. N’était-ce point assez, ce grand amour qui avait empli sa vie jusque-là ? Cet amour devait lui suffire, avec sa douceur et son calme, son éternité qu’aucune lassitude ne pouvait rompre. » (p. 75) Hélène, en mère dévouée, étouffe son amour adultère dans les soins qu’elle prodigue à son enfant. Mais Jeanne est à la fois la barrière et le lien entre la mère et le médecin. « Rien ne les séparait plus que cette enfant, secouée de leur passion. » (p. 185) Quand Hélène et Henri se penchent ensemble sur le lit de la petite malade, l’amour qu’ils portent à l’enfant travestit bien mal le feu qui brûle leurs deux cœurs. Et Jeanne ne s’y trompe pas : le bon ami devient un rival et l’enfant exprime une jalousie rageuse et sourde. Elle sent que sa mère lui échappe pour une passion bien différente de l’amour filial.
Le drame d’Hélène, c’est d’avoir vécu un veuvage trop calme, presque monacal. Quand le sentiment amoureux s’empare d’elle, son cœur est vierge comme celui d’une jeune fille, mais elle ne peut plus en disposer à sa guise sans blesser son enfant, si enragée d’elle. Et l’amour adulte se heurte à son devoir de mère. « Elle souffrait trop de cette lutte entre sa maternité et son amour. » (p. 187) Le personnage de Jeanne me laisse perplexe. Autant la jalousie capricieuse de cette enfant choyée m’agace, autant je comprends le sentiment d’abandon qu’elle peut ressentir devant l’égoïsme amoureux de sa mère. Ce volume des Rougon-Macquart peut sembler moins violent, voire moins enlevé que d’autres, mais ici les ravages sont immenses et portent sur une enfance fragile en dévastant une innocence assoiffée d’amour.
Ce roman est le premier texte d’Émile Zola que j’ai lu, vers 13 ans, naïvement attirée par son titre. La page d’amour est belle, mais elle est cruelle et elle s’arrache par lambeaux. Ici, clairement, Zola fustige la brièveté de la passion et l’indifférence de la vie qui continue, quoi qu’il arrive.