Roman graphique d’Amruti Patil.
Sous les traits d’une très belle femme, un fleuve raconte l’origine du monde et toute la cosmogonie indienne. Dans cette transmission par le conte, il veut éveiller son auditoire à plus de sagesse. « Voici une mise en garde et un secret : faites confiance à qui déroule humblement le fil d’un récit. Méfiez-vous du fanfaron qui embellit ou complique à souhait. Ne lâchez pas l’histoire, même lorsqu’elle passe de main en main. Ne la lâchez pas. » (p. 6) Car ce qui compte, ce n’est pas l’histoire ou celui qui la raconte, c’est le message millénaire qu’elle transporte.
« Entre la fin d’un monde et le début d’un autre, Vishnu dort. » (p. 28) Ici, le début n’est qu’un des commencements possibles. Le temps est perméable et ses anneaux s’entrelacent et se superposent. Les batailles millénaires et les haines immémoriales entre les serpents et les oiseaux ou entre les asurs et les devas portent toute l’histoire du monde. Pour un peu d’amril, la boisson divine, les esprits et les démons se déchaînent. Au fil des millénaires, les dieux se mêlent aux humaines et engendrent des êtres extraordinaires. Tout cela n’est-il que légende ou n’est-ce pas une sagesse à exploiter sans fin ? « Il ne faut pas rester prisonnier des récits anciens. Comme un champ, il faut les labourer et les retourner pour que leur humus respire. On ne doit fidélité qu’à leur essence. » (p. 118)
Amruti Patil est une grande artiste. Elle maîtrise la sanguine, le fusain, le collage, le photomontage. Elle malaxe les mythes et les rend étonnamment modernes. Son roman graphique fait la part belle à l’image et le texte est doublement légende, dans le fond et dans la forme, inscrit dans des cartouches qui laissent la prééminence au visuel. Dans les dessins, on croit voir du Gauguin, du Chagal, du Klimt ou du Botticelli, mais finalement, il n’y a surtout du Patil et c’est très réussi.
Je suis entrée totalement novice dans ce récit. De l’Inde et de ses légendes, je ne connaissais que les noms de Vishnu et Brahma. Je serai donc bien en peine de vous raconter la cosmogonie que déploie Amruti Patil. Sachez toutefois qu’il est question de sagesse et de fidélité, d’amour et de désir, et d’un recommencement dont on ne voit pas la fin, peut-être parce que chaque fin est un renouveau. Ce roman graphique est une très belle œuvre : nul besoin de maîtriser les légendes indiennes pour se laisser prendre à sa beauté sauvage.