Le narrateur est fasciné par les tatouages. Il en dessine pour Dimitri, son ami qui est artiste tatoueur. Lors d’un voyage en Italie, le narrateur découvre une devise inscrite sur un cadran solaire : Vulnerant omnes, ultima nequat. Cette phrase l’obsède et le charme tellement qu’il décide de sauter enfin le pas et de se faire tatouer, juste sur le plexus solaire. « Étrange impression d’être marqué comme le bétail, et en même temps se sentir distingué, protégé par ce signe-talisman. Tel un croyant que le prêtre aurait béni. » (p. 27) Passés les premiers jours d’euphorie où l’homme n’a de cesse d’arborer son tatouage auprès d’éphémères conquêtes, voilà que l’encre s’efface et que l’inscription disparaît. Et peu à peu, c’est le sang du narrateur qui s’éclaircit et blanchit. « Mon Vulnerant me rendrait-il moins fort ? » (p. 34)
Quelle étrange histoire que cette angoisse de la peau blanche ! L’auteure dessine une calligraphie épidermique au pouvoir macabre. Le talisman que le narrateur s’est appliqué à même la peau ne porte pas bonheur : rien ne conjure le temps, ni n’empêche les choses de s’effacer et de disparaître. En inscrivant dans sa chair une devise prophétique, l’homme s’est fait l’objet de mesure de son propre temps. « Tatouer devient un art performatif, le tatoueur en action crée la réalité. » (p. 87) Ainsi, la disparition presque oulipienne des premiers mots du tatouage renvoie l’homme à sa nature mortelle, jusqu’à la folie.
Ce roman très court lance de nombreux filets, mais j’ai le sentiment que certains sont revenus à vide ou ont échoué en haute mer. Je n’ai pas vraiment réussi à relier tous les aspects de cette histoire. Mais j’ai été tout simplement fascinée par ce tatouage éphémère et la prise de conscience qu’il occasionne chez le héros. Moi qui serais bien incapable de marquer ainsi ma peau, frileuse devant un tel engagement charnel, j’ai oscillé entre horreur et admiration devant l’homme qui se fait inscrire sa destinée sur le plexus.
Un grand merci à Stéphanie Hochet qui m’a proposé de lire son livre et qui l’a joliment dédicacé. Un petit mot sur les Éditions des Busclats : elles proposent à des auteurs reconnus de sortir de leurs sentiers battus littéraires le temps d’un texte court. Je ne connais pas encore d’autres textes de Stéphanie Hochet, je ne peux donc pas apprécier la différence, mais je vais m’empresser d’y remédier pour retrouver cette plume forte et évocatrice.