Deux femmes assistent à l’enterrement d’Adèle. Il y a Fleur, son arrière-petite-fille. Et il y a Suzan, la fille de son ancien prétendant américain. Après les obsèques, les deux femmes reviennent séparément sur ce qu’elles savent de celle que l’on a inhumée.
Pour Fleur, Adèle est la fille d’immigrés polonais qui pensaient trouver en France plus de sérénité et de bonheur. Sa rencontre avec Louis est décisive : à 13 ans, la fillette sait qu’elle épousera le garçon. Et le couple traverse avec courage l’histoire des Juifs d’Europe. « Après tout, ce pays n’est pas le leur. Ne leur fait-on pas un cadeau en tolérant qu’ils y respirent ? Ainsi, on portera l’étoile jaune en se persuadant qu’elle n’est pas une marque d’infamie. » (p. 147) Adèle, épouse passionnée et mère courage, porte les siens à bout de bras et témoigne d’une rage de cœur inépuisable.
Pour Suzan, Adèle est la Française qui a brisé le cœur de son père en refusant sa demande en mariage, le précipitant ainsi vers la mort. Son ressentiment envers elle est mêlé de douleur et de remise en question. « Suzan, avant l’arrivée en fanfare de la Française, s’était convaincue qu’elle aimait son existence capitonnée, qu’elle n’en espérait rien de plus, ni de moins. Et voilà que cette vieille femme venait la narguer avec ses appétits » (p. 68) C’est là que le bât blesse : Adèle a toujours mordu la vie à pleines dents alors que Suzan a peu à peu renoncé et s’est laissée enfermer dans une vie conventionnelle. Grâce à sa tante Sophia qui vit en Afrique du Sud depuis des décennies, Suzan découvre la correspondance de sa mère et peut enfin oublier sa colère contre Adèle. « Elle n’a jamais rien fait d’aussi important que ce chemin vers ses parents. » (p. 138)
D’un chapitre à l’autre, les deux voix s’opposent. Mais finalement, Fleur et Suzan se sont trouvées et se sont libérées de l’emprise d’Adèle, une femme qui a laissé partout une trace indélébile. « Suzan les imagine lui, sa mère, Sophia et Adèle la Française sur le chemin. Elle ne peut pas les bouger comme des pions, mais si c’était possible, que changerait-elle ? » (p. 154) Désormais, Suzan et Fleur peuvent suivre leur chemin sans tomber dans les traces de pas de la superbe Adèle.
Autant le dire franchement, je n’ai pas été sensible à toutes ces histoires de femme. La toute-puissante Adèle prend trop de place, Fleur est transparente et Suzan est aigrie. En revanche, j’ai aimé la réflexion sur la place des Juifs au 20e siècle. Au début du siècle, certains ont pris le bateau pour les États-d’Unis d’Amérique et d’autres ont choisi la France. Et voilà comment les destins de familles qui auraient pu être similaires ont pris des voies différentes. Certes, l’Amérique n’est pas l’Eldorado. « Ils n’ont jamais rêvé d’Amérique, y sont venus sans désir, talonnés par les menaces, s’y sentant diminués. » (p. 143) Certes, être juif ne conditionne pas la réussite ou l’échec d’une vie. Mais l’histoire s’est chargée de montrer qu’à défaut d’Amérique, il a bien fallu survivre.
C’est une lecture en demi-teinte. Le style de Carole Zalberg est très beau, je dirais même noble. Je lirai d’autres romans de cette auteure, mais celui-ci me laisse un goût d’inachevé.