Jacqueline Le Gall est une vieille dame qui porte en elle le regret de sa jeunesse dans une petite vie étriquée. « À cette heure de la soirée, Jacqueline ressemblait encore à toutes ces épouses bourgeoises que le confort d’un mariage sans amour a transformées en papillons épinglés. » (p. 16) Mais voilà, à 73 ans, Jacqueline en a assez de son Marcel de mari et de sa vie manquée. Un train, un bateau et quelques centaines de kilomètres plus tard, elle débarque sur l’île d’Yeu pour retrouver Nane, sa cousine perdue de vue depuis 56 ans. Nane a l’habitude d’accueillir les éclopés de la vie. « Tous ceux qui ne savent pas ce qu’ils cherchent, ils viennent le trouver chez moi. » (p. 135) Dans sa petite maison, elle fait cohabiter sa vieille cousine distinguée avec Arminda et son fils Mathis. Jacqueline ne sait pas vraiment ce qu’elle est venue chercher sur l’île. Peut-être des souvenirs. Peut-être une raison à son départ. Peut-être une énergie pour retrouver celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer.
De son côté, Marcel est bien embêté : que sa femme s’en aille après tant d’années de mariage, il ne s’y attendait pas ! « Des trucs comme ça, ça devrait pas arriver aux vieux comme nous. Parce qu’il ne nous reste plus beaucoup de temps, à nous autres, pour mourir heureux. » (p. 39) Puisque Madame a décidé de vivre sa vie, Monsieur va en faire autant. Et s’il peut la reconquérir par la même occasion, ce sera encore mieux. Marcel décide de se lancer dans le projet qu’il a toujours différé, la descente de la Loire à la nage et à pied. Sauf que Marcel, comme Jacqueline, n’est plus de la première jeunesse. « T’as bien réfléchi et là, quatre heures du mat, tu me donnes les fruits de ta mûre réflexion que c’est une bonne idée à soixante-seize balais de descendre la Loire sur des bouteilles de Badoit ? » (p. 90) Mais faut-il mourir heureux et serein ou faut-il vivre jusqu’à en mourir ? Et si la vieillesse n’était qu’un temps suspendu, une deuxième jeunesse avant la fin ?
Cette histoire sur la vieillesse et les recommencements, c’est un papillon qui nous la raconte. « S’ils savaient combien nous nous réjouissons des vaudevilles qui se jouent dans leurs jardins. » (p. 23) Ainsi portées par les ailes des vents et des lépidoptères, la fugue de Jacqueline et l’épopée ligérienne de Marcel ont des airs très légers. Presque éphémères. J’ai beaucoup aimé cette façon de déléguer la narration à des êtres si fragiles qu’ils vivront encore moins longtemps que les plus vieux des vieux, ce qui leur laisse quand même tout le temps nécessaire pour se passionner également pour Paul, le prêtre défroqué féru d’astronomie et Perpétue, l’enseignante béninoise. Eh oui, rien n’empêche les papillons, ni les rêves d’aller jusqu’aux étoiles ou de revenir d’Afrique !
Dans ce joli roman très bien mené, Caroline Vermalle nous chuchote qu’il n’y a pas d’âge pour être jeune, surtout quand on est vieux : le temps n’est plus aux regrets ou aux remords. Dans son premier roman, L’avant-dernière chance, l’auteure mettait en scène un couple de vieux copains décidés à faire le tour de France en voiture. Dans L’île des beaux lendemains, elle répète que les rêves ne vieillissent pas et que les vieux ne le sont que s’ils renoncent à vouloir plus. Ce roman est touchant et très frais, voire printanier : le troisième âge s’accommode à merveille des floraisons et des regains de sève !