Roman graphique d’Ileana Surducan.
Manu est un petit homme chauve qui est convaincu que les chaises ont une âme et des rêves. Alors, la journée, il travaille à l’usine, mais la nuit, il est dompteur de chaises dans un Cirque qui se produit à l’extérieur de la Cité, là où il est interdit de se rendre. « Inciter les gens à sortir de la Cité la nuit et promouvoir des distractions illégales est interdit. Article 23/5 du règlement. » (p. 11) dans la ville, ils sont peu nombreux à croire à l’existence réelle du Cirque : « Il n’y a que des débris en dehors de la Cité. » (p. 11) Et pourtant, toutes les nuits, Yannick le magicien, Mia la jongleuse de feu, Pierrot l’acrobate et Manu le dompteur de chaises enchantent les petits et les grands autour d’une piste aux étoiles enchanteresse. Mais alors, si le Cirque est illégal, comment y viennent les spectateurs sans se faire prendre par les automates qui gardent la Cité ?
Voilà qu’une étrange menace plane sur la Cité : des bestioles grignotent les mécanismes des machines. Qu’à cela ne tienne ! Puisque ces bêtes ont peur du noir, il n’y aura plus jamais de nuit, ni d’obscurité. Plus personne ne dormira et la lumière de la raison et du savoir rationnel ne cessera jamais de briller. Hélas, s’il n’y a plus de nuit, il n’y a plus de sommeil, ni de rêves, ce qui ne fait pas du tout les affaires du Cirque. « Les rêves des gens, c’est la lumière qui nous permet d’exister. » (p. 71)
Ileana Surducan offre une superbe variation sur le thème des dictatures scientifiques. La Cité automatisée s’oppose au Cirque qui est le monde du rêve et du tout-possible. Voir des chaises faire des pirouettes, c’est impossible ? Non, pas au Cirque. Avec ses sièges apprivoisés, Manu montre qu’il est possible de réapprendre à rêver et de combattre ses peurs. Dans son journal, les jours se suivent toujours plus beaux et plus magiques. J’ai beaucoup apprécié l’humour tendre de cette histoire. « Dis donc, tu sors des trucs d’un chapeau vide ? / Non. Je sors des trucs d’un chapeau plein. » (p. 51) Le Cirque rassemble une bande de joyeux loufoques et de doux dingues en habit de lumière que l’on voudrait suivre au bout du monde, pour ne pas manquer un instant du spectacle. Il y a assez peu de textes dans ce roman graphique, mais l’image est si éloquente qu’on se passe bien de mots. Quel plaisir d’en prendre plein les yeux à chaque page ! Comme dans toute BD classique, il y a des cases plus ou moins carrées, certaines plus longues ou larges que d’autres. Il y a aussi de sublimes pleines pages qui explosent de couleurs et de mouvements. Et il y a quelques images découpées dans lesquelles le personnage est son propre espace et délimite les propres contours de son geste.
Entre aquarelle, fusain et sanguine, Ileana Surducan a créé un Cirque inoubliable qui rappelle qu’il ne faut jamais oublier de rêver. La lecture de son ouvrage a été comme un rêve éveillé : j’ai été émerveillée à chaque page par la finesse des traits et l’éclat des couleurs. Petits et grands, n’hésitez pas à prendre un billet pour le Cirque d’Ileana Surducan, vous ne le regretterez pas !