Roman de Stephen King, publié sous le pseudonyme Richard Bachman.
Ray Garraty à 16 ans. Comme 99 autres jeunes garçons, il va participer à la Longue Marche, une épreuve sportive de plusieurs jours encadrée par l’armée et qui suscite l’enthousiasme délirant de la foule. « Tout ce qui concernait la Marche tenait un peu de la légende. » (p. 12) Le principe est simple : sans jamais descendre en dessous d’une moyenne de 6,5 km/h, les participants doivent avancer sans se retourner et sans s’arrêter. Après trois avertissements, les soldats abattent ceux qui ne respectent pas les règles. « Quand il fait froid, tu peux marcher plus vite et te réchauffer. Quand t’as trop chaud, tu peux marcher plus lentement… et t’es refroidi. » (p. 200) La Longue Marche ne récompense pas celui qui va le plus loin ou le plus vite, mais celui qui avance le plus longtemps. Ici, ce que l’on teste, c’est l’endurance face à la mort. « Si je tombe, je meurs. Jamais je ne pourrai me relever. » (p. 168)
Ce qu’il faudrait comprendre, c’est la raison qui a poussé tous ces jeunes gens à participer à cette marche mortelle, ce qui les motive à emprunter une voie sans issue qui ne peut voir qu’un seul vainqueur. « Nous voulons tous mourir. […] C’est pour ça que nous faisons ça. Sinon pourquoi, Garraty ? Pourquoi ? » (p. 161) Et pourtant, ils continuent tous d’avancer autant que possible, au mépris de la douleur et de la fatigue, jusqu’à l’ultime épuisement et, pour certains, jusqu’à la folie. Et il y a de quoi devenir fou, car cette marche assassine n’a aucun sens. « Si tout cela est tellement horrible, […] c’est parce que c’est insignifiant. Tu sais ? Nous nous sommes vendus et nous avons échangé notre âme contre du mépris. » (p. 229)
Garraty est le champion du Maine et, tout le long de la route, d’état en état, des pancartes portant son nom sont agitées. Il faut dire que, chaque année, près de 2 milliards de dollars sont investis en paris sur la Marche, alors la foule veut de l’action et du sang. « Il fallait plaire à la Foule. Il fallait la craindre et l’adorer. Ultimement, il fallait se sacrifier à la foule. » (p. 282) Dans cette marche à la vie, à la mort, il est difficile et douloureux de nouer des alliances. Le mieux ne serait-il pas que chacun marche pour lui-même ? Alors, à chaque pas, chaque marcheur attend que les autres tombent et reçoivent leur ticket. La seule possibilité de victoire, c’est de survivre et de le faire seul. « Pas d’aide, pour personne. On marche tout seul ou on ne marche pas. » (p. 315)
Stephen King développe dans ce roman une angoisse très particulière. On sent la présence d’un état militarisé, voire fasciste qui encadre et régule brutalement tous les excès et toutes les fautes. La Longue Marche est l’expression ultime de la cruauté et de l’absurdité d’un régime dictatorial où les êtres ne valent rien de plus que l’excitation de la foule qui assiste, comme au spectacle, à l’abattage de jeunes vies désillusionnées. J’ai souvent pensé au roman d’Horace Mac Coy, On achève bien les chevaux, qui présentait l’enfer des marathons de danse pendant la grande crise américaine et où les danseurs devaient rester sur la piste jusqu’à l’épuisement total pour gagner quelques milliers de dollars. Dans Marche ou crève, le vainqueur peut demander ce qu’il veut tout au long de la vie qu’il aura sauvée de l’enfer de la Marche, mais à quel prix ? La fin du roman est grinçante, tout à fait atroce et angoissante, mais elle n’aurait pas pu être différente. Pas de rédemption ou de soulagement pour le survivant d’une marche contre la mort. Voilà donc un très bon roman de Stephen King, haletant et accrocheur, impossible à lâcher quand on l’a ouvert. Pour un peu, je vous dirais : « Bouquine ou crève »…