Bande dessinée de Thierry Chavant.
Blanche de Saint-Ange sort du couvent pour se marier. Elle devient Madame de Beau-Près et suit son époux dans son domaine, sur une île battue par les vents et la pluie. Son isolement sur ce caillou hostile s’ajoute à son infirmité : elle ne voit pas les couleurs. « Je n’entends rien aux nuances de ce monde comme disaient les bonnes sœurs dans mon dos. Le monde n’est que grisaille. » (p. 3) Blanche n’a aucune affinité avec les autres dames présentes sur l’île et s’ennuie à mourir lors des thés et des bavardages dont ces femmes raffolent. « Je n’ai ni famille, ni patrie, ni attaches, je n’ai pas de racines, quant à mon avenir, on le trace pour moi. Je suis comme prisonnière. » (p. 10) Blanche doit aussi subir les discours ronflants et bornés du père André, chargé de veiller sur elle en l’absence de son époux. Mais la jeune femme préfère de beaucoup la compagnie de Toumaï, nègre des Caraïbes ramené par Monsieur de Beau-Près. Entre ces deux déracinés, une tendre complicité se noue. « Je ne pensais pas rencontrer un jour quelqu’un comme elle. Surtout ici loin de toute lumière, de toute chaleur. Une femme blanche. Je la vois. Elle n’est pas distante ou froide, juste timide et fragile, elle se protège. Nous sommes si semblables derrière nos différences. » (p. 25)
Ce premier volume est très prometteur et j’ai vraiment hâte de lire la suite, Toumaï, les savanes féroces. J’ai apprécié le dessin : les corps des deux héros sont beaux, comme sculptés au pinceau, tandis que les vices des antagonistes éclatent sur leurs faces. L’histoire n’est pas follement originale : la romance entre une dame blanche et un esclave noir, c’est un fantasme littéraire assez répandu, simple variation de Roméo et Juliette et de toutes les grandes histoires d’amour impossible. Mais j’ai aimé la façon de présenter l’intrigue, notamment l’alternance de cases en couleurs et de cases en dégradés de gris, les dernières étant celles vues du point de vue de Blanche. Cette manière de suggérer la multiplicité des narrateurs est plutôt originale et m’a convaincue.