En 1880 dans les états d’Alderney, petite île anglaise, Sarah McNeill a dix-neuf ans. Depuis l’enfance, elle est presque muette à cause d’un accident et elle estime qu’elle a bien peu de chances de trouver un époux. « Parce que vous croyez que la vie serait tellement plus belle si vous pouviez hurler ? Tenez, je peux hurler, moi […] et qu’est-ce que ça me rapporte ? Ça réveille les coqs et les chiens m’aboient au cul. » (p. 81) Un soir de bal, elle rencontre Gaudion, maraîcher breton en déroute sur les côtes d’Alderney. L’homme se plait à séduire l’innocente d’un seul baiser. Dès lors, Sarah est amoureuse et elle décide d’être aussi fidèle à Gaudion que le fut Lady Jane Franklin à son époux, capitaine disparu dans les mers boréales. Pendant des mois, elle attend le retour du maraîcher à Alderney, mais il devient évident qu’il ne reviendra pas. Cela ne suffit pas à décourager Sarah qui décide de quitter sa famille en catimini pour gagner Londres où elle suppose que Gaudion l’attend. Et peu importe tous ceux qui essaient de lui ouvrir les yeux. « Ce n’est pas pour vous chagriner, mademoiselle McNeill, mais les hommes libres, ça leur chante souvent de changer de port d’attache. Peut-être qu’il ne reviendra pas avant longtemps. Ou même jamais. » (p. 132) Après tout, puisque Sarah aime Gaudion, il est évident qu’elle doit en être aimée de retour.
À Londres, elle travaille pour Mortimer Pook, taxidermiste qui alimente les maisons riches en oiseaux empaillés. D’un bout à l’autre de la ville, Sarah livre les oiseaux et ne cesse de chercher Gaudion. « Puisque lady Jane avait financé cinquante-deux expéditions, Sarah décida qu’elle résisterait cinquante-deux fois à l’attirance qu’un homme, autre que Gaudion, pourrait exercer sur elle. À la cinquante-troisième occasion, elle céderait. » (p. 224) Pour payer ses recherches, Sarah commet de menus larcins dans les maisons riches où elle livre les oiseaux. Hélas, quand elle passe en Normandie où une fausse piste l’a envoyée, ses crimes la rattrapent. Et toujours pas de Gaudion. Faudra-t-il que tous les sacrifices de Sarah aient été vains ?
Sarah est un personnage fascinant. Elle n’est pas très instruite, mais elle est têtue et pleine de ressources quand il s’agit de l’homme qu’elle a choisi. Aiguillonnée par l’amour, elle est prête à tout pour retrouver Gaudion. « La beauté de Sarah n’était ni dans les traits de son visage, ni dans sa silhouette, elle était dans sa certitude de trouver Gaudion, et qu’ils s’aimeraient. » (p. 322) Mais l’imagination follement romantique de la jeune fille est cruelle puisque Sarah aime en vain un homme qui n’a jamais fait cas d’elle. Quant à la fin de l’histoire, elle est terriblement cynique et saupoudre de ridicule la quête éperdue d’une jeune ignorante amoureuse.
J’avais beaucoup aimé John l’enfer du même auteur. J’ai bien fait de suivre les conseils d’une copine lectrice en acquérant ce roman. D’aucuns le trouveront peut-être niais, mais l’histoire est charmante en dépit des douleurs qu’elle présente, avec un je-ne-sais-quoi de très poétique et de très doux.