Chinoises

Recueil de témoignages de Xinran.

Pendant plusieurs années, Xinran a animé une émission de radio sur les ondes chinoises. Pour la première fois dans l’histoire du journalisme de ce pays communiste, la parole était aux femmes. « J’ai été surprise de découvrir à quel point les histoires des femmes se ressemblaient tout en étant différentes. » (p. 168) L’ouverture de la Chine au monde a levé le voile sur les conditions de vie effroyables des femmes, toujours prises entre les traditions et les tabous, toujours soumises au terrible spectre de la honte. « Tout ce qui compte pour les Chinois, c’est de ne pas perdre la face, mais ils ne comprennent pas que leur face est liée au reste de leur corps. » (p. 291) Xinran rencontre des veuves, des orphelines, des mères meurtries et des femmes accusées à tort. La force dont elles font montre pour endurer la domination masculine et les préceptes communistes, ainsi que leur courage résigné ont forcé mon admiration tout en attisant une amère révolte dans mon cœur de lectrice. « J’espérais que ma douleur finirait par disparaître d’une façon ou d’une autre, mais comment faire disparaître ma vie ? Faire disparaître mon passé et mon futur ? » (p. 51)

Cette lecture entre en résonance avec Vent d’est, vent d’ouest de Pearl Buck que j’ai lu très récemment, mais aussi avec Fleurs de Chine de Wei-Wei et Ma vie en rouge de Zhimei Zhang. « Le tragique, c’est qu’autant de femmes intègrent ce jugement de ‘mauvaises femmes’ que les hommes portent sur elles. » (p. 69) Xinran présente avec amertume plusieurs générations de femmes qui ont dû renier leur féminité et leur sensibilité pour se plier à un régime communiste où l’égalité confinait à l’absurdité : pour parvenir à une totale égalité entre les hommes et les femmes, il fallait surtout que les dernières acceptent sans broncher les désirs des premiers. « L’existence des femmes se justifie par leur utilité. » (p. 338)

Outre les poignants témoignages qu’elle met en forme dans son ouvrage, Xinran présente le journalisme dans la Chine communiste et tout l’aspect administratif et protocolaire de cette activité hautement encadrée par le pouvoir. Gare au journaliste trop enthousiaste, il pourrait être accusé de subversion ou de trahison ! Mais Xinran s’est toujours sentie investie d’une mission simple et essentielle, celle de faire connaître ce qui est inconnu et de dévoiler ce qui est caché. Et tant pis pour l’adage chinois qui dit qu’« à la campagne, […] le ciel est haut et l’empereur est loin. » (p. 16) Pour Xinran, il n’est pas de contrée trop reculée ou d’histoires trop embarrassantes. Sans jamais heurter l’écueil du sensationnel ou du voyeurisme, elle présente avec pudeur des histoires très violentes et très douloureuses. À sa façon, elle rend justice aux femmes qui se sont confiées à elle et rappelle que l’égalité des sexes reste un idéal à double tranchant.

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