Mr Stevens fut le majordome dévoué de Lord Darlington, à Darlington Hall, pendant des années. À la mort du maître des lieux en 1956, le domaine est racheté par Mr Farraday, un Américain installé en Grande Bretagne. Afin de maintenir la tenue de maison à son niveau habituel, Mr Stevens envisage de recruter de nouveaux domestiques. Il songe notamment à Miss Kenton, ancienne intendante du domaine qui s’est mariée des décennies plus tôt. Le majordome entreprend donc un voyage en automobile de plusieurs jours afin de retrouver Miss Kenton. Au fil de son échappée, Mr Stevens se remémore les grands moments de sa vie de majordome, notamment la conférence donnée par Lord Darlington en 1924 sur le traité de Versailles et ses déplorables conséquences sur l’Allemagne. Mr Stevens pense également à son père, majordome adjoint chez Lord Darlington, et à Miss Kenton, si remarquable dans son métier.
En Angleterre, la tradition du majordome est ancestrale. Étymologiquement, ce domestique au-dessus des autres est le maître de la maison. Pendant de nombreuses pages, Mr Stevens s’interroge sur ce qui définit un bon majordome : il conclut qu’un bon majordome doit être digne. En outre, un bon majordome doit savoir faire passer sa vie personnelle après sa vie professionnelle, se dévouant totalement à son métier et à son employeur, quelle que soit l’urgence intime qui bouleverse son existence. « Ne me croyez pas grossier de ne pas monter voir mon père dans son état de décès à ce moment précis. Vous comprenez, je sais que mon père aurait souhaité que je continue mon travail maintenant. » (p. 124) Avec la modernité en marche, l’extinction progressive de l’aristocratie et la disparition des grands domaines, le majordome, le traditionnel butler devient une pièce de musée, une originalité que l’on exhibe. Mr Stevens en est parfaitement conscient et il sait que Mr Farraday, son nouvel employeur, a d’autres attentes et un autre comportement que Lord Darlington. Pour s’adapter au changement, le vieux majordome s’essaie au badinage, pratique qui lui est bien inconnue.
Résumons : aristocratie anglaise, idylle improbable et montée du nazisme, voilà qui avait tout pour me plaire. Et je n’ai pas été déçue, mais j’ai eu bien des difficultés à m’attacher aux personnages principaux. Mr Stevens fait montre d’une morgue un peu froide. Il est profondément pénétré de son importance et de son métier, comme incapable de manifester la moindre émotion. Quant à Miss Kenton, elle s’emporte facilement et abuse des piques et des méchancetés pour attirer l’intention du majordome. S’il est aisé de comprendre que ces deux-là sont maladroits et bien en peine de s’avouer leurs sentiments respectifs, sur la longueur, leur comportement m’a un peu agacée, de même que le style un peu lourd de la narration qui est entièrement menée par le majordome qui, tout au long de son récit, ne peut s’empêcher de se justifier ou de préciser mille petites choses. Mais dans l’ensemble, cette lecture fut plaisante, surtout pour le charme suranné qu’elle dégage.
De Kazuo Ishiguro, je ne saurai trop conseiller de lire l’excellent Auprès de moi toujours.
Film de James Ivory.
Le réalisateur reprend admirablement le déroulement du roman, sans en modifier la construction, ce qui est vraiment agréable. Il faut toutefois noter quelques différences. L’acheteur de Darlington Hall est Mr Lewis, et non Mr Farraday, qui avait assisté à la conférence de Lord Darlington, conférence organisée en 1936 et non en 1924. Anthony Hopkins et Emma Thompson sont tous deux excellents, très justes dans leurs rôles respectifs. J’ai particulièrement aimé la scène où Hopkins tente d’expliquer la réalité du monde au jeune Hugh Grant. Il s’ensuit un dialogue très digne, mais parfaitement hilarant, sur les petits oiseaux, la luxuriance de la nature et les poissons. Le film est un peu long, mais il complète parfaitement le roman.