Deux amis sont bien tristes. Ils ont respectivement dû se séparer de leur chien et de leur chat, au motif qu’ils n’étaient pas bruns, seule couleur désormais acceptée par l’état. Mais puisque c’est la règle, pas question de tricher, même si ces animaux étaient bien affectueux. Après tout, ce n’était que des animaux « La nation n’a rien à y gagner à accepter qu’on détourne la loi, et à jouer au chat et à la souris. Brune, il avait rajouté, en regardant autour de lui, souris brune, au cas où on aurait surpris notre conversation. » (p. 5 & 6)
Le temps passe et les deux amis décident de reprendre un animal : ce sera donc un chien brun et un chat brun, comme le veut la loi. « Comme si de faire tout simplement ce qui allait dans le bon sens dans la cité nous rassurait et nous simplifiait la vie. La sécurité brune, ça pouvait avoir du bon. » (p. 8) Mais à force de laisser faire, de dire que ce n’est rien, que ce n’est pas grave, les hommes sont dépassés par le pouvoir qui devient autoritaire et répressif au-delà de toute mesure et de toute raison. « Ce n’est pas parce qu’on aurait acheté récemment un animal brun qu’on aurait changé de mentalité, ils ont dit. » (p. 10)
En simplement onze pages, la terreur atteint des sommets vertigineux. La montée de la xénophobie et du totalitarisme, d’abord banalisée, devient irrépressible : le système est bien huilé et la machine à broyer fonctionne à la perfection. Onze pages, seulement onze pages et une claque qui réveille, qui rappelle les passés tragiques et les écœurantes défaites de la démocratie et de la liberté. Voilà un texte qui, selon moi, est bien plus efficace que la logorrhée de Stéphane Hessel qui nous clamait Indignez-vous !