Le narrateur a grandi sous l’égide de deux monstres sacrés : Danny Kayes d’une part, Franz Kafka d’autre part. Ses deux maîtres, ses deux K. Le premier est un acteur comique qui a enchanté Hollywood et le monde pendant des décennies. Le second est le héros de Prague, figure romantique aux amours impossibles, mort sans enfant et qui continue de fasciner des années après sa disparition. Et si malgré tout, Kafka avait eu un fils ? C’est sur la base de cette piste folle que le narrateur, cinéaste de son état, décide de se rendre à Prague pour réaliser un documentaire sur les Juifs de cette ville et sur cet auteur énigmatique. Entre l’Altneushul, la vénérable et presque millénaire synagogue pragoise, et le musée Kafka, le narrateur suit la trace du fils de l’auteur de La métamorphose. « Quand on revendique une telle filiation, il faut la prouver. » (p. 91) Il croise une belle fille au béret bleu qui ne cesse de disparaître, l’incarnation du golem, un homme qui prétend être plus jeune que son fils et un grenier qui existe et n’existe pas en même temps. Et surtout, il touche du doigt une révélation qui pourrait bouleverser le monde des lettres, voire le monde tout court. Avec son œil-caméra qui accumule les séquences, le narrateur est peut-être à deux doigts de cramer la pellicule avec un sujet trop brûlant.
Tout est possible dans un univers kafkaïen. Gardez cela en mémoire quand vous ouvrirez la merveille que constitue L’énigme du fils de Kafka. Vous pensez que le titre dit tout ? Pensez-le si vous voulez… « Que ceux qui meurent d’envie de savoir ce qui est arrivé à la fille au béret bleu passent directement au chapitre 12. Mais surtout, n’oubliez pas de revenir au chapitre 11. Sinon, vous manquerez une surprise de taille. » (p. 171) Ce texte est un roman labyrinthe, une histoire à clés, une machine à multiplier les mystères. Est-ce un rêve ? Un fantasme ? Un délire ? Ne cherchez pas à résoudre les disparitions des personnages : cette évanescence humaine est nécessaire et elle ne vous regarde pas. Concentrez-vous sur K, sur le cas de K. Oui, vous rirez devant les dialogues absurdes qui s’échangent. « Vous avoir visions, monsieur. Besoin lunettes. / Figurez-vous que j’en ai des lunettes. / Alors retirer lunettes. » (p. 59 & 60) Oui, vous n’aurez de cesse de vous demander qui est qui et qui est quand. Et surtout, vous vous demanderez cent fois qui est l’auteur du roman que vous êtes en train de lire. Cette question obsédante est fondamentale. Demandez-vous si, finalement, vous n’êtes pas l’auteur de la fantasmagorie qui se déroule sous vos yeux, si vous n’êtes pas responsable de ce micmac pragois. Pour une fois, osez croire ce que vous voyez et cessez de demander pourquoi.
De Curt Leviant, j’ai déjà passionnément aimé Journal d’une femme adultère.