Album de Didier Graffet (illustrations) et Xavier Mauméjean (textes).
Le steampunk est un genre dérivé de la science-fiction. Les intrigues s’y déroulent toujours dans un passé aux allures très futuristes et mécanisées. En anglais, steam est la vapeur, ce qui renvoie à la machine à vapeur, fleuron de la révolution industrielle. Le steampunk rend donc hommage à la transformation du monde par la machine et réécrit l’histoire en y insérant d’anachroniques constructions mécaniques. Dans ce très bel album, Xavier Mauméjean propose des textes que Didier Graffet met en images, chacun offrant toute l’étendue de son talent pour célébrer un courant littéraire artistique qui a le vent en poupe.
Évidemment, la machine est au cœur du texte et du dessin. Le progrès se mêle aux légendes et aux superstitions. L’aventure va de pair avec la recherche d’un idéal humain qui ne peut se passer de la mécanisation. « En 1928, l’Union soviétique décide de libérer les masses opprimées de la servitude terrestre. L’architecte visionnaire Gueorgui Kroutikov conçoit le projet de cité-usine volante qui fera prendre de la hauteur à la classe des travailleurs. La fabrique aérienne est constituée de neuf niveaux, reliés par des rampes ou des ascenseurs, reposant sur une base de 196 mètres de côté. Quatre moteurs à hélices, gros comme des silos à grain, sont répartis autour du socle et assurent sa propulsion. Cette Babel volante, qu’entoure à chaque instant un essaim de machines Polikarpov, accueille huit unités de production, surmontées par un complexe d’habitats ouvriers aux logements standardisés. Les travailleurs n’ont plus à se déplacer dans des transports harassants pour gagner leur lieu de travail. Parcs, gymnase et Maison du Peuple permettent loisirs et éducation. La logique fonctionnelle mise en œuvre par Kroutikov permet aux prolétaires de se réaliser dans leur labeur qui devient source de fierté. Ainsi entendu, le travail est l’expression de l’homme qui tente de remplir son espace et son temps par l’action légitime. » (p. 30 & 31)
Si Graffet et Mauméjean revisitent surtout la fin du XIXe siècle et les décennies qui mènent à la Belle Époque, ils n’hésitent pas à faire quelques incursions dans l’Antiquité et dans la Renaissance, poussant même jusqu’aux guerres mondiales. Les textes de Xavie Mauméjean semblent des chroniques d’un temps passé où l’homme tentait de conquérir l’inaccessible : air, vitesse, profondeur, espace, feu, esprit humain ou âme, il n’est pas de territoire que le steampunk refuse d’explorer. Puisqu’il s’agit de réécrire l’Histoire et les histoires en y incluant la machine, on peut se demander ce qu’il serait advenu du Titanic s’il avait pu colmater sa déchirure grâce à une ingénieuse machinerie composée de panneaux et de soudures. Et l’on peut s’interroger sur le destin de Quasimodo si le sonneur de cloches de Notre-Dame avait été un être de métal.
Les illustrations de Didier Graffet sont belles comme les huiles des maîtres flamands, tourmentées comme les marines des peintres anglais et mélancoliques comme les toiles des romantiques allemands. Les déclinaisons de bronze, de feu, de gris et de fumée n’en finissent pas de magnifier les machines industrielles, les monstres de guerre et les humanoïdes.
Moi qui suis fascinée par les palimpsestes et l’intertextualité, j’aime le courant steampunk parce qu’il revisite des histoires que je crois connaître en y ajoutant une pincée de mécanique qui ne dépare jamais l’ensemble. Le steampunk, bien qu’enfumé et couvert de graisse de machine, se drape toujours d’une élégance paradoxale, la froide machine renforçant souvent l’humanité.