Fille d’un colonel des hussards et d’une mère poitrinaire, Mary grandit au gré des changements de garnison. Vivement impressionnée par la mort d’un bœuf, cette enfant nerveuse et à la sensibilité bridée grandit en sachant qu’on l’aurait mieux aimée si elle avait été un garçon. Sa haine du mâle croît à mesure qu’elle comprend le pouvoir qu’elle peut avoir sur le sexe fort. « Elle semblait née pour jouer ce rôle de jolie cruelle avec ses yeux rapprochés comme ceux des félins, sa lèvre dédaigneuse et ses dents pointues férocement blanches. » (p. 181) Étrangement belle, elle déchaîne les passions pour mieux les piétiner et manipule jusqu’à l’extase l’époux et l’amant. « Rappelle-toi que je voudrai toujours ce qui m’arrivera, je suis la maîtresse de vos destinées ; et quand je ne t’aimerai plus, tu regretteras mon amour comme bientôt il regrettera la vie ! » (p. 286) Mary joue avec les désirs des hommes, avec leurs sentiments, considérant ses propres affections comme des faiblesses dont elle doit triompher. Plus guerrière qu’amante et plus chasseuse qu’amoureuse, cette femme aux froideurs brûlantes élève le sadisme féminin au rang de chorégraphie mortelle. « Où était le mâle effroyable qu’il lui fallait, à elle, femelle de la race des lionnes ? … Il était ou fini ou pas commencé. » (p. 303) Et il faudra bien que tout s’achève dans le sang !
Ce roman me faisait de l’œil depuis des années : son titre sulfureux annonçait des voluptés défendues et des frissons décadents. Avec son style vieillot et désuet à plaisir, le texte fait parfois sourire tant il est singulier de voir la pudeur avec laquelle son audacieuse auteure parle de passion physique et de violence. Il y a ici quelque chose de l’image d’Épinal : en vieillissant, le récit a figé des représentations charmantes et fausses qu’on ne voudrait pas corriger pour tout l’or du monde tant elles sont délicieuses et flattent une certaine idée de la France. « Jamais on ne prouvera aux cavaliers français que faire l’amour n’est pas la meilleure préparation à un combat meurtrier. » (p. 176) La gaudriole et la galanterie à la française sont légendaires et elles se heurtent et se brisent au contact du personnage féminin du roman. Nous sommes bien loin des petites filles modèles, des jeunes vertueuses ou des sages épouses. Même une marquise de Merteuil paraît fade en comparaison de Mary Barbe qui ne jouit pas des souffrances physiques, mais des souffrances morales qu’elle inflige à ses victimes.. « Elle savourait ces voluptés comme les chattes savourent le lait, la paupière mi-close et la griffe en arrêt, heureuse mais n’attendant qu’un prétexte pour lancer l’égratignure. » (p. 252) Savoir que l’enfance du personnage est fortement autobiographique fait regretter de ne pas avoir vécu à l’époque de l’auteure où l’on aurait pu croiser cette femme aux mœurs dont le raffinement le disputait à la décadence !