Ce lapin est persuadé de pouvoir échapper aux chasseurs. « La menace est gravée en chacun de nous. La menace est notre destin. » (p. 9) Mais un bond trop tard et le voilà dans la gibecière de Tristan. Tristan qui n’a pas pu échapper à cette partie de chasse à laquelle sa femme Emma l’a convaincu de participer. Pour s’intégrer. Mais avec Dumestre, Farnèse et Peretti, Tristan n’est pas à l’aise. Il ne comprend pas les blagues et il s’en veut d’avoir blessé le lapin. Quand Dumestre tombe dans une faille et se blesse, Tristan reste et raconte son histoire pour distraire le chasseur de sa douleur. Alors que le lapin ne connaît que l’immédiat, Tristan est doué d’une mémoire qui pèse, de souvenirs qui blessent. Il y a la mère disparue si jeune, la solitude, la rencontre avec Emma, la tristesse du couple au quotidien. Sous l’orage qui ravage la région, Tristan s’enterre dans un terrier avec Dumestre : revenir dans la tiédeur de la terre, comme une tentative désespérée d’oublier et de ne plus souffrir. « Qu’est-ce que c’est, cette chose qui file, qui nous échappe et qui s’en va ? […] Disons que c’est votre jeunesse, fait le lapin, avant de disparaître. » (p. 162)
Ce court roman est un conte cruel qui malmène les hommes. Il y a des ogres invisibles venus du passé, des secrets trop lourds pour les frêles épaules d’un jeune homme trop amoureux de l’amour. Dans son dialogue muet avec le lapin, Tristan perd sa supériorité : l’humain est-il vraiment plus fort que l’animal ? « J’ai trouvé ce qui nous sépare, toi et moi. Vous et nous. La conscience de votre propre finitude, vous l’avez, je l’accepte, je le constate, mais ce qui vous manque, c’est la conscience de la finitude de l’autre. L’amour naît de là. » (p. 130)
Alors que la première moitié du texte m’a enchantée, j’ai terminé le roman en soufflant d’impatience. Tout commençait si bien avec la relation intime et secrète du lapin et du jeune homme, mais l’auteure a ajouté des histoires parallèles si tristes et si pesantes qu’elles ont fait ployer le délicat équilibre initial jusqu’à noyer le tout dans un pathos de mauvais aloi. In extremis, un dernier bond du lapin offre une fulgurance bienvenue dans cette masse étouffante de 160 pages.