Roman d’Éric Faye. À paraître le 19 août.
Fasciné par Sandrine Broussard qu’il a rencontrée dans une soirée, le narrateur raconte son histoire. La jeune femme vit en Belgique sous un faux nom parce qu’elle est recherchée en France. Oh, pas de crimes, non, mais des petits délits. Sandrine arnaque les hommes en utilisant les petites annonces et, avec son compagnon Julien, elle utilise des chèques volés, menant grande vie le temps d’un repas dans un restaurant étoilé. Elle encaisse les mandats que des hommes amoureux lui envoient, en renvoie certains quand sa victime est trop éplorée. Sandrine n’est pas mauvaise, mais elle veut profiter autant que possible de son ascendant sur les hommes, se prouver qu’elle plaît et repousser l’image qu’elle s’est construite au contact d’une mère qui ne l’a jamais trouvée belle.
La peur aux trousses, Sandrine sait que la police est sur ses traces. La prison, elle y a déjà goûté et elle ne veut jamais y retourner. Gavée d’amphétamines et d’alcool qui lui font croire qu’elle vit plus intensément, elle veut oublier son adolescence et se construire une vie faite de luxe et de mode. « Dans cette vie clandestine, quelque chose protégeait Sandrine Broussard : être passée maître dans l’art de ne pas être elle-même. » (p. 91) En changeant sans cesse d’identités, elle pense pouvoir s’inventer une vie. Et c’est là le drame de Sandrine : au lieu de vivre la vie qui lui a été donnée, elle se réfugie dans des chimères et des rêves inconsistants. Les années passant, la fuite l’épuise et Sandrine aspire à retrouver son nom, sa vie, son identité.
Ce roman repose largement sur des faits réels. La fascination du narrateur/auteur pour Sandrine est palpable, lui qui n’a pas connu la clandestinité et la culpabilité. « J’aurais aimé accomplir ce que Sandrine avait réussi sous l’empire de la nécessité : me glisser sous l’épiderme d’un autre, à qui, sans mobile – comme une manière de crime parfait – j’aurais dérobé l’identité par intermittence. » (p. 115) Mais Sandrine le comprend après des années de cavale, les magouilles et la dissimulation ne fondent pas une existence et ne peuvent pas effacer la détresse héritée de l’adolescence. Alors, oui, il faut tenter de vivre et pas seulement de survivre.
Avec son titre emprunté à un poème de Paul Valéry, ce roman se lit comme un conte initiatique. Il est impossible de trouver Sandrine antipathique : oui, elle est hors-la-loi ; oui, elle se met dans des situations impossibles. Mais elle est très attachante : en tant que femme, je me suis reconnue dans ce personnage sur la brèche qui, pour se trouver, a d’abord tenté de se perdre. Cette histoire est charmante, délicate, délicieuse.