Le monsieur aux petits oiseaux s’occupe tous les jours de la volière du jardin d’enfants. On ne sait pas vraiment son âge, seulement qu’il est vieux. Quand il était enfant, il était le seul à comprendre son grand frère qui pratiquait une langue imaginaire et complexe, légère et musicale comme le chant des oiseaux. C’est la langue pawpaw : elle ne s’écrit pas, elle ne s’apprend pas, elle se ressent. Les deux frères ont grandi et vécu ensemble. Le cadet était régisseur d’un grand domaine tandis que l’aîné ne quittait la maison que pour acheter une sucette chaque mercredi. Ils prévoyaient parfois un voyage, mais s’arrêtaient toujours la volière du jardin d’enfants avant de faire demi-tour, comme si cette grande cage était à la fois un voyage et une destination. L’aîné est fasciné par les oiseaux et le cadet ne fait rien pour l’éloigner de ces précieux petits animaux. « Il savait lui aussi à quel point leur chant était joli quand son frère était présent. Comme pour prouver que leur chant était la pierre brute des mots, il se mêlait à la langue pawpaw pour ne faire qu’un, continuant à faire vibrer ses tympans. » (p. 103)
L’aîné était un homme craintif et simple que les habitudes réconfortaient. Pour accommoder et rassurer son frère, le cadet a toujours suivi la même routine, consolidant un foyer de plus en plus fermé. « Ils vivaient en protégeant leur nid à tous les deux. » (p. 93) Quand le cadet s’est retrouvé seul, il a continué la même vie simple, voire dépouillée. C’est finalement une histoire de perte et de solitude que celle de ce frère qui a toujours vécu pour son aîné, puis pour sa mémoire. « Faire de la volière le meilleur endroit pour les oiseaux le réconfortait dans la mesure où il en faisant une offrande à son frère. » (p. 106) Et même s’il a rencontré des personnes qui auraient pu le tirer de son isolement, le monsieur aux petits oiseaux n’a pas su s’ouvrir aux autres.
Quel crève-cœur que cette histoire ! Le monsieur aux petits oiseaux ne commence jamais à vivre : entre les voyages avortés, sa vie dévouée à son frère et sa retenue en toute chose, il ne met jamais les deux pieds dans l’existence. Son aîné, que d’aucuns qualifieraient d’idiot, était certes un homme isolé, mais avec une vie intérieure riche même si elle était mystérieuse. Le cadet reste prisonnier de sa solitude, ne parlant qu’aux oiseaux et à ses souvenirs. De Yôko Ogawa, j’avais vraiment apprécié La formule préférée du professeur où il était également question d’un homme enfermé en lui-même en raison d’une mémoire défaillante. Ce personnage parvenait toutefois à aller à la rencontre de l’autre et de la vie. Petits oiseaux me laisse une grande tristesse au cœur, en dépit de sa profonde poésie. Je finis sur une jolie phrase qui laisse penser que les oiseaux sont des interlocuteurs précieux. « Les oiseaux ne font que répéter les mots que nous avons oubliés. » (p. 19)