Ouvrage d’Étienne Barillier et Arthur Morgan. Photographies de Nicolas Meunier.
Avant de commencer, quelques dates à connaître :
- 1815, Napoléon est vainqueur à Waterloo grâce à l’usage de la Grande Machine.
- 1848, Napoléon II, l’Aiglon, monte sur le trône.
- 1870, Napoléon II est défait à Sedan. Personne ne comprend pourquoi il n’a pas utilisé la Grande Machine.
« Les Prussiens occupaient un bandeau nord de la France. Le gouvernement avait multiplié les déclarations et les votes. Il fallait agir ! Du côté des Parisiens, on avait fait de même. On s’était perdu dans le projet fou de construire une nouvelle façon de diriger les hommes : la Commune. » (p. 18)
André de Favart est un noble royaliste dont la famille a fui la France pour l’Angleterre après le coup d’État de Napoléon Ier. Avec Edward Parrow, espion anglais, il est chargé de retrouver les plans de la Grande Machine, arme de guerre qui pourrait aider l’Angleterre et la France à battre la Prusse. Mais André de Favart est acquis aux idéaux de Louise Michel. « Louise Michel nous a chargés d’une tâche aussi noble qu’importante : préserver l’esprit de la Commune et organiser le retour du peuple au pouvoir. Un nouveau 89. » (p. 23) André et Edward doivent donc retrouver Anselme Payne, l’inventeur de la Grande Machine et le ramener en Angleterre. Mais cette Grande Machine, quelle est-elle ? D’où lui vient sa formidable puissance de destruction ? Est-ce de la pandésite, ce matériau nouveau et très rare ? Poursuivis par Gaspard de Belleville, un agent de Napoléon II, les deux hommes poursuivent leur mission, mais pas toujours de concert. De la Bretagne à Paris, à Lyon, Marseille et Toulouse, André de Favart rencontre de nombreuses sections vaporistes et des personnages hauts en couleur, comme la fille d’Hélène Jégado.
Ce roman-feuilleton, presque roman-photo, repose sur les carnets d’André de Favart que les auteurs prétendent avoir retrouvés. « D’aucuns diraient que le carnet n’existe pas et que l’ensemble n’est qu’un faux. À ceux-là, nous ne pouvons que répondre qu’il revient au lecteur de décider. » (p. 32) Pour illustrer cette aventure étonnante, ils ont fait appel à des factions vaporistes dont les membres ont prêtés leurs traits et leurs costumes aux personnages de cette histoire. Les portraits en pleine page et les médaillons sont superbes, dignes des défilés de haute couture. Et tout est plus vrai que nature dans cette reconstitution historique rétrofuturiste. « Le texte est d’époque, l’image moderne voyage à travers le temps. » (p. 6)
Avec quel plaisir j’ai suivi l’aristocrate qui travaille pour l’anarchiste française et l’espion qui travaille pour le gouvernement anglais ! La Grande Machine m’a rappelé l’affreux canon construit dans Les cinq cent millions de la Begum de Jules Verne, auteur dont il est fait mention au détour d’une page. L’esthétique steampunk, ou vaporiste en bon français, me plaît pour sa créativité sans limites et son originalité baroque. Les costumes habillent les hommes aussi bien en dandy qu’en inventeur ou en soldat. Dans cette esthétique de vapeur et d’acier, de cuir et de rouages, les femmes ne sont pas de jolies inutiles, mais des belles fortes et combattantes, aussi élégantes en corset de métal ou en culottes courtes. « Sa tenue constituait une incompréhensible alliance de cuir, d’une forme de masculin et de dentelle féminine. » (p. 100)
Ce grand album à la couverture cartonnée fermée par un élastique ressemble à un carnet de voyage géant. Et c’est bien à un voyage que nous invite cet ouvrage, un voyage dans une histoire qui aurait pu être. L’univers steampunk se développe et s’épanouit dans l’uchronie et propose de la science-fiction humaniste et alternative ainsi qu’une réflexion sur l’histoire qui n’a pas été au regard de celle dont nous pouvons déplorer les conséquences. Si le progrès est une force qu’on ne peut pas entraver, il y a des inventions qui devraient rester à l’état de schémas, pour le salut des hommes.
Bref, ici, tout est faux, bien sûr. Mais si c’était vrai… ?