« Dix-neuf ans et veuve déjà. Mary Boulton. Veuve par sa faute. » (p. 14) Coupable du meurtre de son mari, Mary prend la fuite pour échapper à la colère de son beau-père et de ses beaux-frères, deux jumeaux roux indissociables. Nous sommes au Canada, en 1903. Ce sont encore les hommes et l’Église qui font tourner le monde. Rien n’avait préparé la veuve à son mariage avec un homme sans tendresse, ni à son périple à travers les grands espaces sauvages du pays. « La veuve sentait le poids de son existence, les efforts infinis que coûte la vie. » (p. 83 & 84) Issue d’une famille aisée, Mary n’était pas prête à tenir une cabane au fond des bois ou à marcher pendant des jours dans le froid et la faim. Mais puisqu’elle a tué son mari, elle n’a pas le choix, elle doit partir.
Sur son chemin, elle rencontre des bienfaiteurs : une vieille dame, un Indien, un révérend, un nain. Elle ne sait pas rester en place, poussée par la peur et le besoin viscéral d’échapper à ses poursuivants. Elle rencontre surtout le Coureur des crêtes, un criminel qui se cache dans les montagnes pour échapper à la justice. Entre ces deux coupables, l’étincelle de l’amour flambe doucement, mais soumise aux grands vents du nord, elle aura bien du mal à ne pas vaciller. « Le Coureur des crêtes poursuivait son chemin, sa besace remontée sur les épaules, éperdu de désir en pleine nature. Déserteur au milieu de la verdure, égaré et quasi aveuglé par l’insomnie, car chaque souffle des arbres semblait annoncer le retour de Mary. » (p. 166)
Son prénom lui est donné par les autres personnages, très rarement par le narrateur qui la réduit à sa condition de veuve, comme si cette identité amputée et fantomatique désignait tout son être en le rendant très abstrait et inaccessible. « Elle avait vingt ans et son cœur avait déjà été poussé deux fois aux limites de son existence. En se mettant debout, elle s’était fait l’effet d’une nouvelle femme, affreusement habituée à la perte. » (p. 345) La veuve est indéniablement coupable. On comprend à demi-mot ce qui a motivé son geste de mort à l’encontre de son époux. Pourtant, il est impossible de ne pas éprouver de la sympathie pour cette femme révoltée qui choisit d’échapper au contrôle qu’elle a toujours subi, celui des hommes, celui de la bienséance et celui de la religion.
La Bible est un ouvrage important dans ce récit. Celle de Mary est couverte d’annotations et de signes qui dissimulent le secret honteux d’une fille de bonne famille. La Bible, c’est la somme de toutes les vertus et l’incarnation de la morale, celle que Mary a bafouée. Pourtant, auprès du révérend qui bâtit une étrange église bancale, la veuve commence à reprendre pied. « Elle éprouvait un soulagement tout simple. Dans la maison du révérend, elle avait trouvé une sorte d’amnistie. Rien à voir avec le bonheur, le fichu bonheur. » (p. 233)
La veuve est finalement un très beau western au féminin. On croise des Indiens, des mines de charbon, des chercheurs d’or, des grizzlys. Dans sa fuite, Mary ne trouve pas que la liberté, elle découvre sa propre force et la capacité de refuser ce qui ne lui convient pas. Ce n’est pas du féminisme, c’est de la survie.