Roman d’Anita Diamant. À paraître en janvier 2016 au format poche chez les éditions Charleston.
« Mon nom ne vous dit rien. Mon souvenir est poussière. Ce n’est ni votre faute, ni la mienne. La chaîne reliant mères et filles s’étant rompue, la transmission de la saga familiale incomba alors aux seuls hommes. Comme ils ignoraient tout de moi, je suis devenue une note en bas de page. Ma vie n’est qu’une parenthèse entre l’histoire bien connue de Jacob, mon père, et la célèbre chronique de Joseph, mon frère. Les rares fois où l’on se souvient de moi, c’est en tant que victime. Presque au début de votre livre saint, on trouve un passage qui semble indiquer que j’ai été violée, la suite est le récit sanglant de la façon dont on a vengé mon honneur. » (p. 7)
Ainsi s’ouvre le récit de Dina, fille de Jacob et de Léa. Unique fille du patriarche, elle grandit auprès de ses quatre mères, Léa, Rachel, Zilpa et Bilha, dans l’ombre de la tente rouge qui est interdite aux hommes et où se renouvelle chaque mois le mystère du saignement féminin et de la fécondité. Choyée et heureuse dans la tribu de son père, elle est confrontée à la mort et à la solitude quand ses frères refusent son union avec un prince non circoncis. Commence alors le long exil de Dina : partout où elle va, elle traîne son chagrin, mais la vie s’accroche à elle et son immense talent de sage-femme lui vaut la reconnaissance et le respect de tous. Au terme d’une longue existence, Dina trouvera enfin le repos, débarrassée de ses cauchemars.
La tente rouge fait entendre la voix de femmes qui a été étouffée par le récit qu’ont donné les hommes. Dina est la mémoire des femmes qui l’ont élevée, aimée et secourue. Des vallées arides de Canaan aux rives fertiles de l’Égypte, la narratrice raconte une vie de bonheurs, de deuils et d’apprentissages. Dina n’est pas un personnage de la Bible, c’est seulement un nom dans une descendance. Mais avec elle, on assiste aux retrouvailles de Jacob et d’Esaü, on accompagne Isaac dans ses dernières heures et on parcourt la terre promise sous l’égide du dieu d’Abraham et des multiples divinités adorées par les femmes de Jacob. Cette opposition est saisissante : Jacob n’honore qu’un seul dieu, celui de ses pères, mais les épouses se placent en plus sous la protection de déesses au visage maternel. Initiée par sa tante et par plusieurs guérisseuses, Dina apprend les plantes qui soignent et les techniques d’accouchement : tout en s’en remettant toujours aux divinités, elle pratique la science avec sagesse, rappelant que le pouvoir des femmes n’est pas dans la possession, mais dans la connaissance du monde.
J’ai lu ce roman à sa sortie en France quand j’étais adolescente et un peu plus tard, à l’aube de la vingtaine. Je le cherchais depuis des années, portée par le souvenir d’une histoire aux échos légendaires, voire mythologiques. Si vous aviez vu ma joie quand j’ai appris que les éditions Charleston publiaient ce roman en format poche ! Cette troisième lecture m’a procuré le même plaisir que les précédentes et je sais déjà que je lirai encore ce roman pour remettre mes pas dans ceux de Dina.
Le billet sur ma première lecture est ici.