Roman de Rudyard Kipling. Illustrations de Madeleine Charléty.
Botte est un fox terrier heureux auprès de son propriétaire qui est l’être le plus important de son existence. « J’ai Mon Dieu qui s’appelle Le Maître. » (p. 8) Avec Savate, le chien de La Maîtresse, Botte vit de belles années dans le domaine de son propriétaire. Il raconte les Moments qui ont marqué son existence, comme l’absence inexpliqué des Maîtres, l’arrivée du Tout-Petit ou la rencontre avec Frange le renard et Ravageur, chien de chasse du domaine voisin. « Il m’a fait rouler, et tenu par terre avec ses pattes, et mordu pour de rire dans mon cou. Je l’ai mordu aussi pour de rire, en plein sur ses joues. » (p. 52) Botte est satisfait de son sort et la simplicité de son quotidien n’est jamais ennuyeuse. « Après déjeuner, on chasse le Chat de la Cuisine par tout le jardin jusqu’au Mur. » (p. 10) Du haut de ses petites pattes, Botte expérimente tout ce qui fait une vie : l’amitié, la joie, la perte, la mort.
Raconté sur un ton volontairement enfantin, avec des formules figées et ritualisées, ce texte est tout sauf naïf. Et ce n’est certainement pas un livre à l’usage des seuls enfants. Ici, l’auteur écrit clairement pour un lectorat adulte qui reconnaîtra la critique dans les propos faussement candides et terriblement justes du petit chien. Si l’auteur célèbre la soumission, voire la dévotion de l’animal envers le Maître, il souligne surtout les méchancetés de l’homme envers la créature : les punitions injustes, le dressage cruel, l’indifférence et l’abandon. Si, comme le mien, votre cœur devient guimauve quand on parle de toutous et autres animaux de compagnie, vous allez chouiner, c’est certain !
Ce chien ton serviteur m’a rappelé les Mémoires d’un âne de la Comtesse de Ségur : en donnant la parole à des animaux aimés et/ou à des compagnons du quotidien, les auteurs ont la caution d’une âme simple et innocente pour se livrer à un exercice de style de haut vol et pour dire les vérités plus délicates. Une fois encore, ce livre n’est pas pour les enfants, à moins de vouloir les traumatiser en leur lisant la fin qui est d’une tristesse indicible. Je ne dis pas qu’il ne faut pas confronter les enfants à la mort, mais la dernière scène est d’autant plus douloureuse qu’elle est vécue et racontée par une âme aussi pure que celle d’un tout petit. Il n’y a pas de mots pour réconforter le petit être désemparé par la perte d’un proche.
Ce livre est un bel ouvrage, de format peu commun, au papier épais d’un beau blanc nacré. Entre livre précieux et livre doudou, Ce chien ton serviteur est de ces volumes que l’on range amoureusement dans sa bibliothèque et que l’on sort tout aussi tendrement pour l’admirer, le parcourir et replonger dans sa naïve justesse.
De Rudyard Kipling, lisez évidemment Le livre de la jungle.