Dans le domaine d’Ambros Förness, les chevaux sont le centre de tout, la fierté et le bien le plus précieux. Viv et Leiv, les grands enfants du premier mariage d’Ambros, conduisent les chariots du relais familial. Quant à Mabb et Kjell, les bambins issus du mariage d’Ambros et Lisle, ils sentent confusément que leur famille n’est pas heureuse. Sans cesse à la recherche de preuves d’amour, leur innocence frustrée pèse sur la maison. Alors qu’un ancien soupirant de Lisle se rapproche, Ambros ne sait contenir sa jalousie et se laisse aller à ses penchants alcooliques. « Comment se sent-on quand on attend et qu’on ne reçoit jamais rien ? » (p. 77) En ville, Leiv est incapable de résister à une partie de cartes bien qu’il ne gagne presque jamais. Peu à peu, le domaine s’endette et périclite, à l’image de ses habitants qui se laissent submerger par leurs démons intérieurs. « Savez-vous ce que je souhaite, moi ? Je voudrais être différent de ce que je suis. Je fais le contraire de ce que je voudrais. Impossible de me retenir avant d’avoir coulé à pic. » (p. 140)
Dans ce roman, les innocents souffrent le plus et en premier. Sacrifiés sur l’autel des vanités adultes, enfants et chevaux finissent difficilement la course. En quelque deux cents pages, l’histoire progresse de plusieurs années au gré d’ellipses parfois un peu trop brusques illustrées par de puissants changements de saison, on suit les affres de la famille Förness jusqu’au dénouement final, heureusement plus doux que le reste de l’histoire. J’ai été moins sensible à cette histoire qu’aux Oiseaux ou au Germe du même auteur, mais le style de Tarjei Vesaas reste aussi beau, mélange de poésie brutale et de lyrisme sec.